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Un amour infini pour la Patrie

Premier départ des enfants cubains en direction de Miami, aux États-Unis, via Varadero, dans des vols de Pan American Airways. Photo: Archives
Premier départ des enfants cubains en direction de Miami, aux États-Unis, via Varadero, dans des vols de Pan American Airways. Photo: Archives

Date: 

15/06/2018

Source: 

Granma International

Auteur: 

Profondément ému, Alex Lopez, 69 ans, raconte qu'un jour il a quitté Cuba pratiquement forcé par ses parents alors qu'il était adolescent, mais qu’il n'a jamais oublié son Île natale, ses origines, et qu’il a toujours porté son pays dans son cœur.
 
Il se souvient du 4 juillet 1962, le jour où il a pris le vol 422 de Pan American Airways, à 11 h 45. Alors qu'il montait l’escalier de l'avion avec ses parents, il a eu l'intention de faire marche arrière, mais il s’est souvenu que sa mère l'avait averti qu’il ne fallait surtout pas se retourner.
 
Il a décrit le voyage comme épouvantable, avant de souligner que ce furent les 45 minutes les plus tristes de sa vie. Il pleura à chaudes larmes, sans aucune consolation. Le paysage défilait à travers le hublot. Les palmiers minuscules, l’océan et, un pays complètement inconnu : les États-Unis.
 
Dix autres enfants étaient dans l’avion, tous sans leurs proches parents. À cette époque, ils ignoraient qu'ils étaient victimes de l'opération Peter Pan, au cours de laquelle plus de 14 000 enfants cubains furent envoyés aux États-Unis par leurs parents. Cet exode forcé et massif de mineurs fut le résultat d’une campagne de désinformation orchestrée par la CIA, et constituant l’une des nombreuses méthodes utilisées par l’impérialisme pour détruire la Révolution.
 
Les premiers moments furent terribles, il fut placé dans des camps de toile de l’armée, avec des adolescents plus âgés que lui. Les prêtres et les religieuses de l'Église catholique avaient bien du mal à contrôler les plus de 500 adolescents de 12 à 18 ans, si bien que certains furent victimes d’agressions physiques, et même de viols, commis parfois par les prêtres eux-mêmes.
 
Malgré ce cauchemar, Alex a réussi à panser ses blessures et à apaiser son âme. Il dit n’avoir jamais oublié ses racines. Après avoir obtenu un diplôme en tourisme, il fonda la société Interplanner Travels et se consacra à la promotion de voyages de groupes entre les États-Unis et les pays socialistes d'Europe de l'Est. C’est en visitant ces pays d’Europe qu’il a tissé des liens avec les Maisons de l'amitié avec Cuba, où il a acheté des livres, des disques et il a trouvé toutes sortes d’informations sur la Révolution.
 
Comment a germé l’idée de votre premier voyage à Cuba ?
 
Je voyageais assez régulièrement dans certains pays socialistes, et la mission de Cuba aux Nations Unies s’est intéressée à mon travail. C’était sous le gouvernement du président Jimmy Carter (1977-1981), qui a décrété l’assouplissement des autorisations de voyage à Cuba. J'ai parlé avec des diplomates cubains de la possibilité de faire du tourisme avec l’île. J'ai toujours eu l'intention de revenir dans mon pays, mais j’avoue que jamais je n’aurais pensé être invité précisément par le gouvernement révolutionnaire.
 
À l’époque, les vols directs étaient interdits et nous avons organisé des voyages à travers le Canada en 1978. Le premier groupe était composé de professeurs et de personnels de l'Université Martyrs de Keith.
 
À ma grande surprise, c’est lors de ce voyage que j'ai fait la connaissance du leader Fidel Castro. Il nous a rendu visite à l'hôtel Riviera. Je parlais à mes touristes à l'entrée principale en attendant le bus, et soudain, je vois qu'une partie du groupe change d'attitude, je les vois ouvrir des yeux ronds comme des soucoupes. Je pensais avoir dit quelque chose de mal en anglais. C’est à ce moment-là que j’ai senti une petite tape sur l’épaule. Je me suis retourné et je suis resté sans voix. Je n’en croyais pas mes yeux !
 
Fidel nous a salué familièrement et nous a demandé de l'appeler simplement par son nom, comme un ami. Il voulait savoir si ces universitaires avaient passé un bon séjour à Cuba et si le programme touristique se déroulait sans accroc. Je n'ai jamais eu de problèmes avec ce groupe, ni avec aucun autre.
 
Ce type de tourisme spécialisé doit surmonter des obstacles dressés par la Maison-Blanche…
 
L'un des principaux obstacles auxquels j’ai été confronté… C’était sous la présidence de Ronald Reegan (1981-1989). On m'a sommé de fermer mes bureaux à New York et à Washington en moins de 24 heures. Nous avons dû interrompre toutes les opérations et le système que nous avions mis en place.
 
Heureusement, nous sommes restés en contact et lorsqu’il y a eu un changement à la Maison-Blanche avec l'administration de George H.W. Bush (père), nous avons pu reprendre les échanges, mais avec beaucoup plus de restrictions qu’auparavant.
 
Effectuer des virements bancaires à Cuba a toujours constitué un gros problème et c’est vraiment usant pour n’importe qui. Maintenant, avec l'administration de Donald Trump, il est pratiquement impossible pour une banque d'accepter un transfert de fonds. En outre, les touristes reçoivent une alerte de voyage émise par le Département du Trésor indiquant que Cuba est un pays dangereux, de sorte qu'en cas d'accident ou de maladie, aucune compagnie d'assurance ne veut assurer.
 
C'est ce qui explique qu’en 2017, nous avons enregistré une trentaine d’annulations de groupes, car personne ne veut se rendre dans un endroit prétendument dangereux, surtout lorsque l’avertissement émane d’une institution gouvernementale. Ces gens se cachent derrière l'argument des prétendues attaques acoustiques. Je vous assure si c’était vrai je serais déjà sourd, moi qui vient ici régulièrement.
 
En réalité, le président répond aux intérêts d'un petit groupe de Cubains installés en Floride qui ont créé une sorte de mafia, et ils ont bâti leur fortune personnelle en dressant des barrières aux relations bilatérales. Ils vivent de ce négoce, parce que des millions de dollars sont alloués pour financer des campagnes contre la Révolution cubaine qui n'ont aucun effet.
 
Je n'aurais jamais pensé voir un président nord-américain en visite à Cuba et je l'ai vu avec Barack Obama. Il a reconnu que la politique de blocus économique n'avait pas eu l'effet escompté pour renverser la Révolution, et il a donc cherché d'autres stratégies.
 
Ses dialogues bilatéraux, ce n’est pas par bonté ou par amour pour Cuba. Sa tactique était de créer une atmosphère de rapprochement afin que les deux gouvernements puissent discuter directement. Peut-être aurions-nous pu parvenir à un échange normal avec le rétablissement des relations diplomatiques, mais l'administration actuelle s’évertue à démanteler tout ce qui a été réalisé. Le différend entre Cuba et les États-Unis n'aura pas de solution parce qu'il y a une obsession de contrôler et de coloniser Cuba, tout comme Porto Rico. Je le vois un peu comme un coup de cœur fatal dans lequel le Yankee blanc veut prendre par force la mulâtresse cubaine qui se refuse à lui.
 
Comment faites-vous votre travail de publicité dans cet environnement hostile pour coordonner les groupes qui souhaitent venir à Cuba ?
 
En surmontant les obstacles et en nous adaptant aux circonstances. Je passe de nombreuses heures de ma vie à parler et à parler avec les gens. Je m'inscris dans des associations professionnelles, des universités et d'autres organisations pour les attirer. Nous profitons de l'expérience de ceux qui déjà ont visité Cuba parce qu'ils sont toujours surpris.
 
Beaucoup de gens viennent avec une crainte infondée au sujet du communisme. On m'a raconté des choses absurdes du genre « les visiteurs constamment surveillés et observés par des espions ». Beaucoup pensent qu’on ne peut pas circuler librement dans les rues.
 
Je leur explique que Cuba est un pays qui fonctionne avec un système socialiste, très différent des autres gouvernements du monde. À leur retour aux États-Unis, ils assurent n’avoir jamais imaginé que Cuba était un pays sûr et à l’abri de tout danger. Ils reviennent très motivés et reconnaissent l'existence d'un peuple éduqué et informé, qui sait comment résoudre les problèmes entre les gouvernements. C’est à ce pont d’amitié auquel nous travaillons chaque jour.
 
Pourquoi l'amour pour Cuba a-t-il été une constante dans vos actions ?
 
Mes parents biologiques m'ont toujours appris à ne jamais trahir. Je pense que lorsque j'ai quitté Cuba, ma famille croyait en un retour précoce et ce furent cinq ans de séparation. J'avais l'impression qu’on m’avait volé mon enfance. Je me suis promis de revenir et de récupérer ce qui m'a été enlevé, ce à quoi n’ai jamais renoncé.
 
Je suis né à Matanzas et chaque fois que je visite mon école primaire, je me souviens de la cérémonie matinale où les enfants saluent le drapeau devant le buste de José Marti Je n'oublierai jamais cette image qui consiste à me tenir en rang, le bras droit levé, chantant chanter l'hymne national cubain.
 
La vie de l’émigré est très dure. Dans mon cas, je n'ai pas l'impression d'appartenir complètement à un côté ou à l'autre. Je me sens à cheval entre deux cultures, deux langues. J’appartiens à ce milieu qui s'identifie comme cubano-américain, qui n'est pas une nationalité. Je ne me considère pas comme un Cubano-Américain, ni comme un citoyen cubain des États-Unis. Je pense que ma vie a été une longue quête de repères. Je vis là-bas, mais je suis ni d'un côté ni de l'autre.
 
Les gens de ce pays m'ont accepté. J'ai été aidé et adopté par une famille qui m'a sauvé. Ils sont venus avec moi aujourd'hui pour la première fois à Cuba. Je me souviens toujours des paroles de Fidel lors d'une conversation avec l'un de mes groupes. Il nous a dit que, même si nous n'étions pas présents, nous avions à Cuba notre foyer et notre oreiller.
 
Le couple Mulvihill, qui réside dans le New Jersey, a raconté à Granma International comment elle a accueilli Alex Lopez jusqu'à ses retrouvailles avec ses parents biologiques.
 
Kathlen, l’épouse, a raconté qu'à l'époque son mari travaillait dans une école en tant que professeur de sciences et il lui parlait d'un garçon cubain très intelligent et affectueux. Ensuite, un travailleur social leur a rendu visite et leur a parlé du processus d'adoption. Ils pensaient avoir peu d'espace dans leur maison de seulement deux chambres, l'une pour eux-mêmes et l'autre pour leurs deux jeunes filles. Plus tard, ils ont déménagé et deux autres filles sont nées.
 
Cette travailleuse sociale nord-américaine a jeté un regard sur le canapé du salon et leur a dit que c'était parfait pour recevoir Alex. Son mari avait 24 ans et elle 23 ans à l’époque. C’est ainsi qu’ils ont accepté le défi d'adopter un enfant. Ce fut une expérience vraiment gratifiante.
 
Le père, Michael, se souvient qu'il était motivé en prenant cette décision en pensant qu’il avait dû être difficile pour les parents biologiques d'envoyer leur enfant dans un autre pays. Alex s’est très bien adapté et s'est avéré être un membre indispensable de la famille.
 
Ils reconnaissent tous deux qu'Alex a beaucoup contribué au bonheur du foyer, il a aidé à prendre soin des petits et à faire leurs devoirs. Alex leur a appris à manger des haricots, des bananes frites et d'autres recettes cubaines. Lorsque leurs parents biologiques, Osvaldo et Victoria, sont arrivés aux États-Unis, ils ont vécu très près de chez eux et sont devenus amis.
 
Ils ont accompagnés Alex à Cuba parce qu'ils voulaient découvrir l'île dont il leur avait tant parlé. Ils voulaient visiter le lieu où il était né et où il avait étudié. Ils ont été surpris par le contact qu'ils ont eu avec les Cubains. Elle est infirmière, sa fille et sa petite-fille ont également choisi cette profession. Ils ont fait l’éloge des soins prodigués aux femmes enceintes dans la Grande Île des Antilles.
 
Lui a dit admirer le système éducatif cubain et qu’il était étonné par les résultats positifs du processus d'enseignement-apprentissage. Interrogés sur une deuxième visite dans le pays, ils ont tous deux répondu à l’unisson par l'affirmative.
 
Que fut l’Opération Peter Pan
 
• L'opération Peter Pan fut conçue à la fin des années 1960 par le gouvernement des États-Unis comme un autre moyen de détruire la Révolution triomphante de 1959. Parmi ses principaux promoteurs figuraient James Baker et le prêtre Bryan O. Walsh. Peut-être que le nom de Peter Pan n'a pas été si mal pensé, car il obéit à l'identification de Miami dans l'opération Neverland, le pays féérique du petit héros.
 
• Les manigances des Nord-américains ont entraîné le départ de plus de 14 000 enfants sans leurs parents entre décembre 1960 et octobre 1962, par le biais d'une fausse loi qui stipulait que le gouvernement révolutionnaire exercerait l'autorité parentale sur les mineurs.
 
• Une vaste campagne médiatique à travers les stations de radio, principalement Radio Swan – radio contre-révolutionnaire des services de renseignements nord-américains qui violait l’espace radioélectrique cubain –, divulgua un message qui allait semer la panique chez les mères lorsque, depuis le 26 octobre 1960, un appel leur a été lancé leur demandant de ne pas se laisser enlever leurs enfants.
 
• À Cuba, un agent cubain de la CIA des États-Unis (José Pujals Mederos) élabora la fausse loi et l’introduisit dans notre pays, assisté par l'agent de la CIA Ramon Grau Alsina, neveu de l'ancien président de la pseudo-république Ramon Grau San Martin. Cette équipe confectionna de faux passeports et de faux visas dans le cadre du cruel Programme pour les enfants réfugiés cubains non accompagnés, qui servit de cadre juridique à la présence de mineurs.
 
• La réunification familiale fut une longue attente pour beaucoup d'enfants, qui souffrirent de traumatismes physiques et psychologiques, parqués dans des camps de fortune sans aucune prise en charge pédagogique. Les analystes soulignent que l'idée des parents n'était pas exactement de rencontrer les enfants aux États-Unis, mais à Cuba, une fois le gouvernement révolutionnaire renversé.

Alex Lopez regrette avec amertume son enfance perdue.
Photo : Karoly Emerson
Les parents adoptifs d'Alex Lopez, Kathlen et Michael Mulvihill. Photo: Karoly Emerson
Plus de 14 000 enfants furent sortis de Cuba dans le cadre de cette opération.
Photo: Archives