LA BATAILLE DE PLAYA GIRON (II)
Il est difficile d’écrire au sujet des événements historiques quand nombre des principaux protagonistes sont déjà décédés ou ne sont plus en condition d’en témoigner.
La quantité de compagnons qui, encore très jeunes à l’époque de la bataille de Playa Girón – et ayant continué ensuite de prêter de précieux services dans les Forces armées révolutionnaire en tant que soldats ou officiers, dans des missions patriotiques ou internationales – se rappellent et décrivent avec lucidité leur participation à ces actions qui n’était pas recueillie dans des notes, des témoignages ou des livres est toutefois notable.
En quête de données précises, j’ai été contraint de réviser des documents, des mémoires, des livres, de converser avec différents compagnons qui ont enrichi mes souvenirs, voire apporté des détails et des faits que j’ignorais, mais j’ai été surtout très sûr de ce que j’avais fait ou non, de ce que j’avais dit ou non.
J’inclurais donc dans ce récit des faits que n’apparaissent dans aucun des papiers ou documents que l’Office des questions historiques du Conseil d’État, que l’inlassable historien Pedro Álvarez Tabío1 a collectés, enregistrés et étudiés jusqu’à sa mort le 13 juin 2009, conserve avec tant de soin.
Comme les lecteurs de la première partie de ces Réflexions s’en souviendront, j’ai raconté les mesures adoptées jusqu’au 17 avril, 10 heures du matin, une fois l’invasion commencée. J’avais alors interrompu le récit des instructions que j’avais émises depuis le Point Un pour le reprendre à partir de 13 h 02 – avec la transcription de mon coup de fil à Raúl dans la province d’Oriente – parce que je ne disposais pas des instructions envoyées durant ces deux heures-là et dont je ne n’étais même pas sûr qu’elles aient été conservées.
La situation à ces premières heures de la matinée du 17 avril était très tendue après les bombardements surprise de nos bases aériennes le 15 et le débarquement des mercenaires à Playa Girón quarante-huit heures après.
J’ai demandé à l’Office des questions historiques du Conseil d’État de faire un effort spécial pour chercher des informations sur ces trois heures –là. Fouillant dans des centaines de documents, le colonel Suárez et son équipe sont parvenus à réunir les nouvelles dont j’avais besoin ainsi que des photos de documents manuscrits et ils me les ont fait parvenir. Je peux donc inclure dans cette seconde partie de mes Réflexions des références à ce moment très important.
Fidel donne des instructions aux combattants au Q.-G. organisé dans la sucrerie Australia.
J’inclurais pour commencer mon message à Fernández, alors à la sucrerie Australia, que je n’avais pas utilisé dans la première partie pour ne pas m’étendre :
« 09 h 55. À Fernández. Australia. Fernández, on leur a coulé un bateau, et on leur en laissé un autre en flammes, et on leur a bousillé aussi un avion. L’avion à réaction est là ? Oui. Ils ne volent pas maintenant ? Les avions à réaction, je vais te les envoyer… sauf erreur, ils doivent voler par là. Je vais t’assurer la protection jusqu’à ce que tu aies occupé Pálpite. Sors sur la route et accroche-toi à Pálpite, c’est très important. Bon, je vais t’envoyer la protection aérienne tout le temps qu’il faudra. Je vais le répéter, à moins que l’avion ne se soit trompé. Parfait. »
Je reprends celui de cinq minutes après que j’ai déjà publié pour qu’on puisse mieux comprendre ce qu’il se passait à 10 heures :
« 10 h 00. À Curbelo. FAR. Curbelo, Fernández ne m’a pas informé. Tu dois bien expliquer au pilote que c’est la route qui va de la sucrerie Australia à Playa Larga, celle de la sucrerie Australia à Playa Larga, où les avions à réaction doivent offrir une protection, mais qu’ils n’ont pas à aller jusqu’à Playa Larga, mais seulement jusqu’à Pálpite. Quand l’un rentre, que l’autre décolle, tu dois bien le leur expliquer : une protection aérienne à ce point. Oui, plus ou moins, pour notre troupe qui va avancer par là. De l’Australia à Playa Larga. Jusqu’à la caye Ramona ? Quoi ? Oui. Bon, continuer de protéger la route, c’est important, et continuer d’attaquer les bateaux. Et toujours en état d’alerte, parce que, demain, ils vont essayer de frapper là. Continuer de protéger la route tout le temps qu’il faudra. Je t’avertis. Bien, très bien. »
Les forces de l’air révolutionnaires ont joué un rôle décisif face à l’invasion mercenaire.
Vient ensuite un groupe de nouvelles indépendantes qui ne sont pas, de toute évidence, des instructions prises en sténo : ce sont des communications relatives à des faits et à des questions, que je transcris telles quelles et comme je les ai reçues, sans y ajouter ni en retrancher aucun détail, me bornant à faire les remarques pertinentes quand elles sont confuses ou incompréhensibles. Cela se passe entre 10 h 05 et 12 h 35, où reparaît le langage familier et intelligible.
« 10 h 05. Int. Curbelo à Del Valle pour l’informer si on autorise des avions militaires nord-américains en provenance de Miami à atterrir sur l’aéroport de Guantánamo2, Fidel informant qu’il n’en est pas question.
« 10 h 05. Int. Fidel à Quiko pour savoir où se trouvent les chars qui se dirigent à Matanzas.
« 10 h 11. Fidel veut qu’on vérifie bien… si c’est vrai qu’ils vont débarquer.
« 10 h 12. Curbelo informe Fidel que notre Sea Fury a descendu un quadrimoteur B-29 ennemi à la baie des Cochons.
Il est indiscutable qu’il s’agissait d’un B-26. À ce moment-là, on ne savait pas encore très bien quel genre d’avion utilisait l’ennemi.
« 10 h 14. Un Nord-Américain nommé Campbell veut parler à un haut fonctionnaire du gouvernement. On l’a informé que c’était impossible.
« 10 h 15. Fidel veut qu’on lui installe la radio pour écouter des infos intéressantes.
« 10 h 22. Acevedo informe que la force de combat de Cojímar est prête.
« 10 h 23. Le comdt Fidel ordonne que les colonnes et escouades de combat aillent à Matanzas, à l’École des milices.
« 10 h 21. Curbelo informe le comdt Fidel que sur la base ils consultaient pour savoir si des avions militaires en provenance de Miami pouvaient passer sur le territoire, le commandant Fidel ayant informé qu’ils pouvaient passer par l’itinéraire normal, mais pas au-dessus de notre territoire. Curbelo a aussi informé qu’il y a trois bateaux à eux hors de combat, un chargé de camions et d’autres choses, et qu’un quadrimoteur B-29 a aussi été abattu.
« 10 h 40. Le comdt Fidel ordonne de dépêcher une autre batterie de Matanzas à Covadonga.
« 10 h 45. Le comdt Fidel ordonne que la troupe continue d’avancer protégée par l’avion à réaction, qu’on dépêche un bataillon à Soplillar et un autre à l’Australia.
« 10 h 48. Les FAR informent que Sea Fury à nous a descendu deux B-26 ennemis.
Un des avions mercenaires descendus par les Forces de l’air révolutionnaires.
« 10 h 53. On informe du front d’opérations que nos forces sont arrivées à Pálpite. Le comandante Fidel donne des ordres qu’elles continuent d’avancer jusqu’à Soplillar. Le bataillon de Matanzas est déjà sur le front. Le comandante Fidel ordonne de ne pas tuer les prisonniers, de les conduire à l’Australia. S’efforcer d’éviter trop de circulation sur la route. Seront protégés par nos avions. [Autrement dit, nos transports de troupes.]
« 10 h 57. Le comdt Fidel ordonne que les avions à réaction protègent les forces qui avancent sur Soplillar en direction de la plage. [Soplillar est un hameau situé au sud-est de la route qui conduit à la mer à travers le bois.]
«11 h 18. Le comdt Fidel communique au comdt Puerta d’informer le comdt Olivera de faire virer aussitôt la compagnie de bazookas. Que les obusiers attendent à Jagüey, les obusiers peuvent aller avec Olivera. Les chars doivent rester là, les bazookas avec Fernández, et qu’on atteigne le 113e bataillon où qu’il soit, et qu’il emporte les obusiers, la 285e batterie et le 113e doivent aller à Covadonga, et ils doivent avoir des bazookas.
« 11 h 25. Le com. Puerta ordonne une batterie de bazooka, ordonne le départ urgent d’une compagnie de bazooka à Jovellanos.
« 11 h 27. Le comdt Fidel Castro ordonne au comdt Puerta de révoquer l’ordre antérieur et de laisser les deux [d’obus] continuer à toute allure et les quatre autres, et qu’un autre de 120 rejoigne Fernández, et l’autre avec Filiberto.
« 11 h 30. Teruel appelle le comdt Fidel, informe que la co. et la bat. de canons étaient passées en direction de Covadonga, ainsi qu’une bat. antiaérienne et quatre bat. d’obusiers à Jovellanos, qui vont défendre Jagüey, l’armement. bat. 85 pour Fernández.
« 11 h 38. Le comdt Fidel ordonne au comdt Puerta que la 15.85 est pour Filiberto, ainsi que deux bat. art. pour Fernández comme le 4e peloton, si le 230e arrive, de l’envoyer à Fernández à Jovellanos, dans cette direction va le 180e et un autre, et plus 4 de plus iront à Jagüey, les 1re et 11e bat. vont à Jagüey, les 6-19-22e à Matanzas.
« 11 h 40. La FAR a informé que, résultat dernières opérations, elle protège les troupes en éclaireurs.
« 11 h 48. Ordre du comdt Fidel à Almeida, quelles nouvelles a-t-on de Covadonga, et ils vont avancer par Yaguaramas, emportant des mortiers, de la DCA et des bazookas, et Filiberto va vers Covadonga avec le bataillon de bazookas et plus en arrière une compagnie de mortiers 185.
« 11 h 51. Le comdt Fidel informe Covadonga qu’une cie de mortiers et bazookas se dirige par Yaguaramas. En plus, Filiberto, plus en retrait, avec plus de bazookas et de mortiers pour atteindre aujourd’hui la descente.
« 12 h 00. Capt. Herandez [ce doit être Fernández]) a informé le comdt Fidel d’ordonner de faire rejoindre rapidement Olivera, des canons antiaériens sont arrivés qui se déplaceront dans la nuit, ils se trouvent maintenant à Pálpite. Complètement protégé par les avions, dans la nuit on ira chercher des canons et des chars. Tout ennemi, faire feu. Actuellement, un B-26 ennemi au-dessus de l’Australia.
Ce message est confus, sauf l’idée que l’artillerie et les chars doivent attendre la nuit.
« 12 h 07. FAR informe. Avion à réaction ennemi prêt en ce moment3.
Ça doit être avion à réaction ami, et non ennemi.
Fidel visite une brigade de la DCA.
« 12 h 11. Rapports au comdt Fidel disent ce qui suit : - qu’il est à Pálpite. Le comdt Fidel suggère d’utiliser l’artillerie la nuit et avec des mortiers, et s’il peut monter les mortiers 120 vers Soplillar et Pálpite. Actuellement, ils ne combattent pas, ils sont sur les bateaux. [Peut-être fait-il allusion aux ennemis.] Un para, un blessé, qui a pris la fuite. Qu’on occupe des positions vers Soplilllar et la plage. L’avion à réaction se trouve actuellement derrière un B-26 ennemi. Il est très important de prendre position à Pálpite et occuper la plage. Le para mort a un nom nord-américain.
Le texte est écrit de cette manière confuse, et n’aborde plus l’idée erronée et farfelue à cette heure.
« 12 h 20. Le comdt Raúl a informé que des groupes contre-révolutionnaires se concentrent en Oriente, et le Fidel lui a dit de prendre des précautions.
« 12 h 35. À PUERTA- Matanzas.- Envoie avis aux mortiers, qu’ils doivent rejoindre Fernández. La 2e est la première, tu dois l’envoyer à Fernández. Si ce n’est pas la 2e, mais une autre, envoie-la-lui pareil. La 2e, la 9e et le 13e, n’importe laquelle, celle qui est là, à Fernández, vite. Les deux autres, qui sont la 9e et la 13e, ou celles qui sont là, amène-les là-bas. Avec la 15e ? À Covadonga. Oui, tout complet là-bas. Dépêche-la donc vite à Fernández, et les deux autres, tu les accumules là. Ah, les chars, dissémine-les là, caché, en attendant les ordres.
« 12 h 37. À FERNÁNDEZ- Australia.- Quelles sont les autres nouvelles ? Oui, l’aigle impérialiste. Bien, quelles sont les autres nouvelles ? Et ils avancent aussi vers Soplillar ? Oui. Surveille, faites attention aux embuscades. Bien, très bien! Dis-moi, les antichars sont arrivés? Bien, oui. La batterie de mortiers est déjà passée par Matanzas. Je crois qu’elle t’arrivera vers trois heures de l’après-midi. Ça y est ? Deux compagnies ? Avec des mortiers, avec des mortiers. Bon, alors, il faut le 120, en cas de résistance. Lequel ? Bon, il faut faire attention. Dès que les mortiers arrivent, installe-les aussi bien vers la plage que vers Soplillar, sur place, car d’autres batteries arrivent. On va voir si on peut occuper l’endroit à l’aube. Bien, au revoir.
« 12 h 42. À CURBELO- FAR. Observez-les, pour voir où ils vont. Oui, mais quand vous arriverez, ils ne seront plus là. Bombardez à Playa Girón. Il n’y a pas d’ennemis ? Dégagé ? Pas d’hommes non plus, pas d’hommes ? Pas de camions en route ? Bon, alors, faites un nettoyage entre Playa Larga, Cienfuegos et Girón, tout ce que vous voyez. Et continuez de protéger l’avancée. Oui, attendez plus d’informations, parce qu’ils vont arriver tard. Continuez de protéger l’avancée.
« 12 h 45. À FERNÁNDEZ- AUSTRALIA. Les renforts sont arrivés ? Quelles nouvelles avez-vous des renforts ? Vous n’avez pas fait demander ? Oui, c’est bien. Où a eu lieu le tir de mortier ? Où est Jocuma ? C’est là qu’a eu lieu le tir de mortier ? Mais les gens arrivent ? Sûr ? C’est bien.
Ils disent que les gens d’Almeida ne sont pas arrivés.
L’artillerie à Playa Girón. (Photo : Raúl Corrales.)
« 12 h 47.- CURBELO-FAR. Alors, comme ça, vous l’avez coulée ? Oui. Et après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’en penses-tu, ils les rembarqueraient de nouveau ? Ils ne pourraient pas partir, ils ne pourraient pas partir ? Tu vas balayer de Playa Larga à Girón, tout ce qui bouge, et après sur la route de Girón jusqu’à tout près de Cayo Ramona. Qu’ils ne dépassent pas Cayo Ramona. Donc, de Playa à Girón, et de là jusqu’à près de Cayo Ramona, tout ce qui bouge, et vous rentrez ensuite. Ainsi donc, les bateaux s’enfuient beaucoup ? Ils s’enfuient beaucoup ? Tu crois qu’ils vont débarquer ailleurs, ou non ? Tu crois qu’il vaut la peine de leur faire un nouvel arrosage ? Vous êtes sûrs que ce ne sont pas des navires américains ou quelque chose comme ça ? Bon, alors, harcelez-les, après avoir nettoyé le coin. O.K.
« 12 h 55.- DORTICOS. Écoute-moi, les navires se retirent. Bon, trois navires coulés là, et un autre en flammes, et les gens en train de les traquer. Je crois que oui. Ils ont avancé vers la plage et vers Soplillar. Ils les conservaient, mais notre troupe avance dans cette direction. Ils ont avancé depuis Cayo Ramona vers Covadonga, mais leur flanc gauche est dans la merde. On va maintenant tirer avec tout ce qu’on a sur tout ce qui bouge. Oui, un avion. Mais c’était logique que les navires se retirent, tu comprends ? Parce qu’on les a sacrément canardés. Non, énergiquement. Les perspectives pour eux sont foutues. Et notre dénonciation à nous ? Bien. La propagande, oui. Miró parle d’un débarquement, où ? Non, par où il sont partis ? Oui, c’est bien.”
« Osmany informa (13 h 00) que Pedrito Miret a sorti 24 obus pour Jovellanos, qu’il a 24 obus prêts, et qu’il prépare les batteries de 122. »
J’interromps ici mon récit des instructions que je donnais au sujet des combats continuels de Playa Girón pour inclure l’essentiel de la conversation que j’ai eue, le 25 avril, avec celui qui fut chef de bataillon à l’École des responsables de milices, le colonel à la retraite Nelson González, un compagnon capable et bien formé de cette unité de combat qui fit une débauche de courage et de cran dans ce féroce combat face à l’invasion mercenaire organisée par l’impérialisme contre notre patrie.
« Fidel Castro. À quelle heure êtes-vous arrivés à Pálpite ? T’en souviens-tu ?
« Nelson González. Entre neuf heures et demi et dix heures du matin, selon les calculs.
D.C.A. (Photo : Raúl Corrales.)
« Fidel Castro. Tu te souviens de ce qu’il y avait à Pálpite ? Le hameau, comment c’était ?
« Nelson González. C’était quatre ou six chaumières de bois à toits de feuilles de palmier, qui ont pris feu quand on nous a tiré dessus, parce qu’on a essuyé des tirs isolés à Pálpite. En fait, Pálpite, nous ne l’avons pas enlevé en combat, nous l’avons occupé.
« Fidel Castro. D’où venaient les tirs que tu dis ?
« Nelson González. Ils venaient des environs. Je ne peux pas préciser, parce qu’ils ont été très espacés. À ce moment-là, il y avait juste un peloton, le 1er peloton de la 1re compagnie.
« Fidel Castro. Et le reste, où il était ?
« Nelson González. Le reste? Dans la colonne qui venait derrière. On est entré à Pálpite, on s’en est emparé et on a continué un peu plus loin.
« Fidel Castro. À quelle distance se trouvaient ces chaumières ?
« Nelson González. Elles devaient être à une vingtaine ou trentaine de mètres de la route, elles étaient tout près de la route.
« Fidel Castro. Ah ! Et ensuite, qu’est-ce qu’a fait la troupe?
« Nelson González. La troupe venait derrière et elle s’est collé à nous, en essayant d’avancer vers la plage. Il était plus de onze heures du matin. Et c’est alors que les éclaireurs à eux, parce qu’ils en avaient, ont fait feu sur nous, et fort.
La baie des Cochons vue d’un navire des mercenaires.
« Fidel Castro. Ah ! Tu te rappelles à quelle heure c’était ?
« Nelson González. Ç’a dû être avant midi. Vous savez pourquoi je vous le dis ? Parce que les avions sont arrivés autour de une heure, une heure dix.
« Fidel Castro. Et des gens se sont déplacés vers Soplillar ?
« Nelson González. Oui, une compagnie, moins un peloton. Du lieutenant Roberto Conyedo León.
« Fidel Castro. Celui qui est vivant.
« Nelson González. Oui, celui qui est vivant.
« Fidel Castro. Ou vit-il ?
« Nelson González. Il habite La Havane.
« Fidel Castro. Tu as pu retrouver son adresse ?
« Nelson González. Non, je n’ai pas pu, mais des compagnons m’ont dit qu’il était très malade.
« Fidel Castro. Mais il doit bien y avoir un autre compagnon qui était dans cette compagnie ! Quelle compagnie c’était ?
« Nelson González.- La 2e. Le chef du 2e peloton, c’était Rodrigo Rossié Rodríguez, un lieutenant de la milice de la première promotion.
« Fidel Castro. Rodrigo Rossié. Tu sais s’il vit ou s’il est mort ?
« Nelson González. Aux dernières nouvelles, il était encore en vie et il travaille à l’ICRT, parce que c’est un spécialiste en communications.
« Fidel Castro. C’est Conyedo qui va mal. Quel âge a-t-il ?
« Nelson González. Il doit avoir plus ou moins mon âge, soixante-dix ou soixante et onze ans.
«Fidel Castro. Tu sais quelque chose de l’autre peloton ?
« Nelson González. Le chef de l’autre peloton, c’était Claudio Argüelles Camejo. C’est lui qui reste à Pálpite. Je vous ai dit qu’une compagnie, moins un peloton, était allée à Soplillar. C’est le sien qui reste à Pálpite, et il est tué durant le bombardement.
« Fidel Castro. Ah! Il est tué. Ils ont aussi attaqué Pálpite en même temps ?
« Nelson González. Oui, l’aviation a attaqué dans l’après-midi.
« Fidel Castro. C’est dans l’après-midi que la compagnie a été attaquée ?
« Nelson González. Quand l’aviation est arrivée, à partir d’une heure de l’après-midi.
« Fidel Castro. Ah, bon, une heure… C’est le même avion qui vous a attaqués, vous, sur la route ?
« Nelson González. Oui, le même. Il mitraillait, larguait des bombes et tirait des missiles.
« Fidel Castro. Mais il devait s’écarter de la route pour tirer sur Soplillar.
« Nelson González. Très peu. Très peu parce qu’avant Soplillar, il a dévié sur Boquerón.
« Fidel Castro. Tu m’as parlé du 1er peloton, où était Rodrigo Rossié Rodríguez, mais maintenant, tu me parles du 2e peloton, celui de Claudio, n’est-ce pas ?
« Nelson González. Oui, le 2e pelotón, celui de Claudio.
« Fidel Castro. Celui de Claudio. Et combien de pelotons y avait-il là ?
« Nelson González. Le 3e pelotón allait aussi à Soplillar.
« Fidel Castro. Ça faisait combien d’hommes en tout ?
« Nelson González. Dans le peloton, il devait y avoir de 60 à 80 hommes à Soplillar ; et à Pálpite, il devait rester de 25 à 30 hommes de cette compagnie.
« Fidel Castro. D’accord. À quelle distance Soplillar se trouve de Pálpite ?
« Nelson González. D’après mes calculs, cinq ou six kilomètres.
« Fidel Castro. D’accord. C’est aussi l’idée que j’avais. Il me semblait que Soplillar était un tout petit peu plus éloigné de la route.
« Nelson González. Oui, oui, Soplillar est à l’écart de la route.
« Fidel Castro. De combien ?
« Nelson González. Il fallait entrer à l’intérieur pour arriver à Soplillar, où il y avait une petite piste. Alors, je vous le dis, c’était au minimum autour de quatre, cinq ou six kilomètres.
« Fidel Castro. Oui, c’était aussi mon idée. Et dans quelle maison tu m’as dit que Claudio avait été tué ?
« Nelson González. À Pálpite.
« Fidel Castro. Tout ça aussi à Pálpite ?
« Nelson González. Oui, c’est à Pálpite qu’Argüelles est tué.
« Fidel Castro. Et ceux de Soplillar, de quelle compagnie ils étaient ?
« Nelson González. De la 2e.
« Fidel Castro. Aussi !
« Nelson González. Oui, c’est la 2e compagnie qu’on envoie à Soplillar, sauf un peloton.
« Fidel Castro. Où tue-t-on ce jeune ? Claudio était du 2e peloton ?
« Nelson González. Du 2e pelotón de la 2e compagnie.
« Fidel Castro. Quelqu’un aurait-il la liste des noms ?
« Nelson González. Dans les documents que je vous ai envoyés, il y a le chef de bataillon, les chefs de compagnies et de pelotons.
« Fidel Castro. Tu m’as dit que la bataillon, c’était cinq compagnies, hein ?
« Nelson González. Six compagnies et une batterie de mortier de 82 millimètres.
« Fidel Castro. Lors de l’avancée sur Playa Larga, vers une heure de l’après-midi, comme tu dis, tous les élèves étaient là, ou seulement deux compagnies ? C’était comment ?
« Nelson González. Devant, il y avait les 1re et 3e compagnies; derrière, la 4e, et un peu plus en arrière, la 6e, parce que la 5e était restée à l’École et qu’elle arrive passé trois heures de l’après-midi. Ce qu’on laisse ici à Matanzas, c’est un peloton, pour garder la garnison.
« Fidel Castro. D’accord. Il y en avait donc quatre à ce moment-là, la 5e reste en retrait. Et la 6e ? Il y en avait six.
« Nelson González. La 6e reste encore un peu plus derrière. Mais comme nous allions en colonnes, pratiquement en formation en masse, il n’y avait pas moyen de nous déployer, nous étions très vulnérables.
« Fidel Castro. Tu te souviens de la route vers la plage, une fois passée l’entrée de la lagune, quand les arbres commencent ? C’est avant d’arriver à Pálpite ?
« Nelson González. Les arbres touffus commencent après Pálpite, sur la gauche, parce qu’à droite il y avait de la mauvaise herbe, une espèce de plante épineuse.
« Fidel Castro. Quand l’avion arrive, où était la 1re compagnie ?
« Nelson González. À environ un kilomètre de Pálpite.
« Fidel Castro. Alors, la densité était forte. Il y avait combien d’hommes réunis là ?
« Nelson González. Ceux de la 1re et de la 3e, il devait y avoir entre 200 et 280 hommes.
« Fidel Castro. Sur la gauche et sur la droite.
« Nelson González. Oui, sur la gauche et sur la droite.
« Fidel Castro. À un kilomètre. Et à combien de la plage ?
« Nelson González. D’après mes calculs, plus ou moins trois ou quatre kilomètres, parce que, si j’ai bonne mémoire, il y a six kilomètres de Pálpite à la plage.
« Fidel Castro. À partir des quatre chaumières. Oui, je comprends maintenant. Plus ou moins, c’est juste. Et eux, sur terre, jusqu’où les mercenaires avaient-ils avancé?
« Nelson González. Les mercenaires occupaient des positions avancées. D’après mes calculs, pas au-delà de cinq cents mètres à partir de la position principale qui était à l’entrée de la plage.
« Fidel Castro. Environ cinq cents mètres. Ça, c’était à une heure de l’après-midi.
« Nelson González. Autour, plus ou moins.
Insignes des paras mercenaires.
« Fidel Castro. Les mortiers, les 105, tiraient déjà ?
« Nelson González. Non, pas encore.
« Fidel Castro. Et le canon sans recul ?
« Nelson González. Le petit, le 75 mm.
« Fidel Castro. Ils en avaient de deux sortes, que je sache, le 57 mm et le 75 mm. J’essaie d’imaginer ce qu’on peut voir à quatre kilomètres. Ils avaient peut-être avancé de cinq cents mètres dans ces parages. Essaie de voir un peu si tu te souviens, le soir, quand les canons de 85 mm sont arrivés, de ce que vous avez discuté avec Fernández, installés derrière Pálpite… Où c’était donc ?
« Nelson González. Un tout petit peu en arrière de Pálpite, à gauche.
« Fidel Castro. Mais où, sur les côtés ou sur la route ?
« Nelson González. Sur les côtés, sur les roches pointues qu’il y a là.
« Fidel Castro. Tu te rappelles quand les canons 122 sont arrivés ?
« Nelson González. Non, je ne me rappelle pas. Les canons 122 sont arrivés à la tombée de la nuit.
« Fidel Castro. Oui, au crépuscule.
« Nelson González. À gauche, il y avait un petit champ pour situer les batteries antiaériennes. Je ne me rappelle pas si c’était quatre ou six canons de 85 mm. Le chef de la batterie était le lieutenant Dow, mais je ne me souviens plus de son nom exact.
« Fidel Castro. Il vit toujours ?
« Nelson González. Je ne sais pas.
« Fidel Castro. Quand les canons sont arrivés, je suppose qu’ils ont utilisé ce terrain-là…
« Nelson González. Non, non, ne le supposez pas, je les ai vus, moi.
« Fidel Castro. Je connais un compañero – j’ai parlé avec lui l’autre jour – dont le frère, un lieutenant, a été tué par les avions à cette heure-là, à la première attaque. Il avait des grenades…
« Nelson González. Ça, c’est Claudio Argüelles Camejo.
« Fidel Castro. Exact.
« Nelson González. Dans ce que je vous ai envoyé, il y a des photos.
« Fidel Castro. C’est juste. Et on l’a emporté parce qu’il était mort. Tu te souviens des compagnons qui ont été tués ou blessés à cet endroit quand les avions ont attaqué ?
« Nelson González. Les avions ont dû attaquer à une heure de l’après-midi, ou à trois heures ou à cinq heures, mais je crois que c’est à trois heures de l’après-midi.
« Fidel Castro. Où peut-on trouve les renseignements sur les morts et les blessés ?
« Nelson González. Les morts apparaissent dans les documents.
« Fidel Castro. D’accord. Vous vous souvenez des morts ?
« Nelson González. Il y a eu vingt et un morts, et un qui est décédé ensuite. Dans les documents que je vous ai envoyés, il y a les vingt et un morts au combat ; le 22, décédé ensuite, je ne l’ai pas.
« Fidel Castro. D’accord.
Mort à la bataille de Playa.
« Nelson González. Je réponds avec plaisir à toutes les questions que vous me posez.
« Fidel Castro. Bien sûr. Merci. Le chef de la 1re colonne, Haroldo, est toujours en vie.
« Nelson González. Dans la journée, Haroldo n’était pas arrivé.
« Fidel Castro. Non, ils sont tous arrivés le soir. Je me demande d’ailleurs pourquoi ils ont avancé à cette heure-là…
« Nelson González. Écoutez, après avoir cherché une explication pendant bien des années, je pense que c’est dû exclusivement à l’enthousiasme, à l’envie de victoire et au moral extraordinaire qu’ils avaient. Après, les mercenaires se demandaient comment il était possible que les hommes à la chemise bleue et au béret vert tombent et que les autres continuent d’avancer…
« Fidel Castro. Je crois que oui, c’est une explication, parce qu’il ne m’était pas venu à l’idée alors d’ordonner à ces gens d’avancer à cette heure-là, parce que les chars ni la DCA n’étaient pas encore arrivés. Ça a été une surprise. Mais comme ça, je le comprends. Après l’attaque, où avez-vous pu vous replier ?
« Nelson González. De nouveau jusqu’à Pálpite.
« Fidel Castro. Mais où les compañeros ont-il pu se dissimuler, parce que la journée est longue ?
« Nelson González. Aux environs de Pálpite, sur les routes et dans les bas-côtés. Il n’y avait rien d’autre, là.
« Fidel Castro. Mais là on pouvait vous attaquer de nouveau ?
« Nelson González. Oui, bien entendu, ils nous ont attaqués aussi.
« Fidel Castro. Après cette attaque, ils ont recommencé ?
« Nelson González. Non, il me semble qu’ils ont volé une fois et une autre fois encore sans recharger, parce qu’ils n’avaient pas le temps de retourner au Nicaragua.
« Fidel Castro. C’est vrai qu’ils devaient retourner là-bas pour refaire le plein et que ça prenait des heures.
« Nelson González. Ils économisaient les munitions pour faire plusieurs passages.
« Fidel Castro. Oui, ils ne pouvaient pas faire trop de tours…
« Nelson González. Ils ne pouvaient pas rester longtemps en l’air.
« Fidel Castro. Te rappelles-tu quand sont arrivés les premiers chars ?
« Nelson González. Le soir, aussi.
« Fidel Castro. Oui, parce qu’ils ne pouvaient arriver là-bas avant la nuit, justement pour qu’on les attaque pas.
« Nelson González. Bien entendu.
« Fidel Castro. L’artillerie non plus, avec la DCA. J’ai les chiffres de tout ce qu’on a envoyé là-bas. De toute façon, je me rends compte que nous avons attaqué, nous l’avons fait conscients. Incontestablement, nous nous sommes laissés entraînés là-aussi par l’enthousiasme, pourrait-on dire. Mais, bon, on ne peut pas faire autrement : si tu dépêches les chars et la DCA, il faut bien que tu attaques.
« Nelson González. Pratiquement à poitrine découverte.
« Fidel Castro. Bien sûr, mais les chars étaient là.
« Nelson González. Oui, les chars, et à côté l’artillerie qui faisait feu, et les obusiers aussi.
Un char des forces révolutionnaires avance sur Playa Girón.
« Fidel Castro. Et si on rappelait un peu tout ça ? Les gens d’Haroldo avaient des instructions, ils étaient protégés par les chars en quelque sorte : le premier char devant ; dans le second, il y avait López Cuba; dans le troisième, Haroldo, je crois. Eux, au moins, ils avaient quelque chose. A propos, te rappelles-tu quelle compagnie des vôtres a avancé avec eux dans la nuit ?
« Nelson González. La 1re et la 3e.
« Fidel Castro. La 1re et la 3e sont revenues ?
« Nelson González. Oui, après le repli sur Pálpite dans l’après-midi. Dans la soirée, elles sont reparties à l’attaque. On avait là près de trois cents hommes.
« Fidel Castro. Ils avançaient sur les deux côtés aussi, ou sur la gauche ?
« Nelson González. Des deux côtés de la route.
« Fidel Castro. Et ceux d’Haroldo ?
« Nelson González. J’ai lu l’autre jour un article qui disait que ceux d’Haroldo étaient le second échelon de l’École des responsables de milices. Pourtant, autant que me souvienne, ceux d’Haroldo étaient avec nous.
« Fidel Castro. Sûr. Ils étaient censés aller les premiers parce qu’ils avaient les chars, l’artillerie, que c’était une troupe fraîche. Vous étiez censés y aller aussi, parce qu’au Q.-G.¸on ne connaissait pas toutes ces pertes. Je me rappelle qu’il faisait nuit quand on est arrivé ; je suis allé jusqu’où nos mortiers de 120 mm étaient en train de tirer et où était située l’artillerie, les obus de 122 mm. J’ai parlé à Haroldo. C’est à ce moment-là que j’ai reçu un message écrit qu’il y avait un débarquement à l’ouest de La Havane. Tout ça est écrit et filmé : les instructions que je donne à Fernández et ce que lui me répond.
« Le 111e bataillon avait déjà été dépêché, et aussi un autre, le 144e, je crois. Une compagnie de chars était aussi arrivée avec Haroldo. Il fallait leur couper la retraite, surtout après que l’ennemi avait repoussé notre attaque.
« C’était suicidaire dès le moment où les nôtres ont commencé. Un de nos chars est arrivé jusqu’au bout de la route où un char des mercenaires était retranché, avec des canons sans recul, des mortiers de 105 mm et des mitrailleuses calibre 50 balayant la route en ligne droite, sans aucune possibilité de déviation. »
Je reviendrai plus loin sur ce point que j’ai abordé avec Nelson González, aujourd’hui colonel à la retraite de nos Forces armées révolutionnaires, chef de bataillon de l’École de responsables de milices, qui avait occupé le hameau de Pálpite, le 17 avril, vers dix heures du matin, et qui avait dépêché à Soplillar la 2e compagnie sauf un peloton, à l’endroit où avaient sauté deux pelotons de paras ennemis bien nourris et bien armés.
18 avril
« 08 h 30. À Ameijeiras. N’emporte pas les mortiers. Demande à Osmany la compagnie de milices. Envoie un gars "futé" à Soplillar pour qu’il vérifie. Qu’on envoie à Jovellanos les deux batteries de bazookas qui restent à l’INRA. Toi, tu t’installes ici [il le signale sur une carte]. »
Témoignage de Samuel Rodiles Planas
(Tiré du journal Trabajadores, 19 avril 1999)
Samuel Rodiles Planas
« Fidel nous a fait chercher, Efigenio Ameijeiras et moi. En arrivant au Point Un, nous avons vu une table avec une carte que plusieurs compañeros étaient en train d’examiner. On nous a dit que notre mission était de recevoir la compagnie légère de combat du 116e bataillon des Milices nationales révolutionnaires et la compagnie de bazookas de l’INRA. On devait se rendre à la sucrerie Australia et de là continuer d’avancer afin d’occuper le terrain entre Cayo Ramona (à travers le marais de tourbe) et la côte. Fidel nous a dit : "Il faut passer sur les arrières de l’ennemi et lui créer une situation d’insécurité totale. Quand ils tenteront d’aller de Playa Girón à Playa Larga pour la renforcer ou de rétrocéder, qu’ils se rendent compte qu’on leur fait la guerre depuis leurs arrières." Il a souligné que notre mission était difficile et que nous risquions de nous retrouver encerclés, mais que nous pouvions être sûrs de recevoir toute l’aide nécessaire.
« J’étais un grand gaillard et j’étais très influencé par les livres soviétiques Les hommes de Panfilov et La Route de Volokolamsk, qui étaient très fameux à l’époque, et j’ai répondu à Fidel : "Écoutez, comandante, ne vous tracassez pas, les hommes de la Police nationale révolutionnaire vont être encore plus courageux que ceux de Panfilov." Je me souviens que Carlos Rafael Rodríguez, en m’entendant, a éclaté de rire. »
« 08 h 45. Fidel ordonne à Sergio del Valle que la colonne spéciale de Roger, au complet, soit à Jovellanos autour de quatre ou cinq heures de l’après-midi, sauf les mortiers et les sapeurs, sans perdre un seul homme ni égarer un seul camion. Attendre des ordres de Fidel.
« 08 h 58. Australia. Comment ? Ils ont besoin de renforts ? Ils demandent deux bataillons, alors qu’hier on leur en a envoyés deux ? Pourquoi faire ? S’ils ont besoin de renforts, envoyez-leur le bataillon qui est à Jagüey [...] Dis à Fernández que les chars ne doivent pas attaquer par la route où ils ont attaqué hier soir […] il doit tâcher de faire passer les chars par Soplillar et d’attaquer de l’est, quand on vient de Girón.
« Qu’il attaque avec les obusiers, mais tout de suite, peu importe que les chars arrivent plus tard, il doit écraser ces types-là, qu’il les écrase sans arrêt, qu’il n’attende pas les chars ou rien d’autre, qu’il n’arrête pas attaquer ces gars-là une minute.
« 09 h 22. À Aragonés. On va dépêcher là-bas les obus de Pedrito.
« 10 h 00. (Del Valle informe qu’Augusto a besoin de deux heures pour réviser les chars, et que ça retarderait l’opération, et il consulte pour savoir s’il les envoie comme ça ou non.) Laisse-lui les deux heures. [Il parle des chars SAU-100 et d’un ou deux des chars de López Cuba qui étaient sur le point d’arriver.]
« 10 h 05. À Del Valle. Donne à Pedrito deux mille cinq cents balles hautement explosives.
« 10 h 12. À Pedrito Miret personnellement : Je te propose de prendre les douze canons 122, et de bombarder pas seulement cet endroit, mais aussi Bermeja, Helechal, Cayo Ramona et ce carrefour ici (il montre sur une carte). Une partie de ton opération consiste à ça : faciliter l’entrée de Filiberto par là. Tu dois bombarder tout ça, jusqu’à San Blas. Je propose que deux batteries antiaériennes appuient Pedrito. Elles doivent être installées à Covadonga. »
Témoignage de Pedro Miret Prieto
Pedro Miret Prieto
« Le 18, j’ai reçu des instructions de me rendre de toute urgence, avec le groupe restant, sur la route qui va de la sucrerie Covadonga à San Blas à l’est. Fidel m’a dit d’emporter la plus possible de projectiles pour bombarder sans arrêt l’ennemi dans ce coin. [...] Ce même soir, nous avons commencé à canarder la zone occupée par l’ennemi.
«10 h 20. À Del Valle. Envoie à Pedrito, en plus de ce qu’il a déjà, 4 000 projectiles d’obusier.
« 10 h 25. À Aragonés. Je te propose d’avancer avec ce bataillon qui est là et avec quatre bataillons de plus, il faut avancer avec l’équivalent d’une division. L’autre information que je veux te donner, c’est que tu vas avancer avec quinze chars, dont dix Staline. Tu peux démarrer l’attaque avec trois bataillons, autrement dit avec celui qui est là et avec deux autres qui doivent se mobiliser pour ça.
« 10 h 35. À Del Valle. Demander si les munitions sont parties et leur dire de ne pas les envoyer à la Covadonga, mais à Real Campiña, par le chemin de Colón, par Aguada. Il faut donner deux ordres : à Augusto, qu’il dépêche à Yaguaramas le bataillon léger qui se trouve à Jagüey, et qu’il envoie aujourd’hui très tôt à la Covadonga les canons 122 qui sont arrivés là avec les tracteurs. Qu’ils partent à midi et qu’ils attendent des ordres de Pedrito Miret.
« 10 h 38. À Del Valle. Il faut dire à Kike d’envoyer cinq automoteurs avec les dix chars.
« 11 h 10. À Osmany. La troupe d’Ameijeiras doit être à Soplillar au petit matin, arriver de Jagüey a Soplillar.
« 11 h 15. À Del Valle. Appeler Augusto et lui dire d’envoyer à Pedrito Miret à la Covadonga une batterie antiaérienne, la quadruple, des deux qui se trouvent à l’Australia. »
Le livre de Quintín Pino Machado sur la bataille de Girón reflète des événements de cette matinée du 18 avril 1961 :
« À 10 h 30, le capitaine Fernández avait occupé Playa Larga et envoyait à la sucrerie Australia un message urgent :
"Commandant Augusto :
"1. L’ennemi s’est retiré de Playa Larga que nos troupe sont en train d’occuper. L’ennemi s’est retiré vers Playa Girón.
"2. Je transfère la DCA à Playa Larga et l’artillerie de campagne, pour me préparer à attaquer Playa Girón.
"3. J’espère pouvoir attaquer dans la journée.
"4. Pas d’activité ennemie dans cette zone, semble-t-il. Des avions à réaction vers 10 h 15 ont mitraillé nos avant-postes.
"5. Informer FAR (Force de l’air) que Playa Larga en notre pouvoir." 4»
L’auteur rappelle aussi que j’appris la nouvelle au Point Un à 11 h 42 et que j’étais « furieux5 ».
J’étais vraiment indigné. Si nous avions divisé en deux les forces ennemies, nous n’aurions pas seulement reprendre Playa Girón en moins de quarante-huit heures, mais, surtout, évité que le gouvernement étasunien ait assez de temps pour se relever de la catastrophe politique qu’il était sur le point d’essuyer. Ça aurait signifié aussi éviter 80 p. 100 des pertes (morts et blessés) que nous avons enregistrées ensuite.
Je me rappelais que dans la sierra Maestra, quatre ans avant à peine, quand nous avions déjà une trentaine de combattants ayant quelque expérience, nous tentions des embuscades aux troupes d’élite de la tyrannie batistienne et les frappions. En terrain boisé, un ou deux pelotons pouvaient désorganiser une colonne de deux à trois cents hommes. On aurait même pu encercler rapidement la force ennemie à Playa Larga, en avançant à pied depuis Pálpite sur un sentier et en tendant une embuscade à son arrière-garde avec des armes automatiques et quelque moyen antichar, et éviter ainsi que les mercenaires regroupent la totalité de leurs forces et moyens à Playa Girón. Je connaissais un chemin par où des chars pouvaient rouler et atteindre l’endroit en un quart d’heure et les fantassins, marchant à pied dans le sous-bois, en pas plus d’une heure.
L’expérience de la Sierra Maestra a servi à Fidel à tracer la stratégie face aux forces mercenaires en 1961.
C’est d’ailleurs ce que je pensais faire quand je reçus, le 17 à 23 h 30, la nouvelle qui m’obligea à regagner le Point Un dans la capitale et à donner des instructions au commandant Augusto Martínez pour qu’il les transmette à Fernández.
Une force d’artillerie de 24 obusiers, 6 mortiers de 120 mm, 6 canons de 85 mm et de nombreuses batteries de DCA étaient plus que suffisants pour balayer les forces mercenaires qui se trouvaient à Playa Larga.
J’écrivis à Fernández la courte note que je signai à 03 h, le 18 avril, et je partis à toute allure vers la capitale. L’autopiste à six voies actuelle n’existait pas encore, qui permet d’atteindre en une heure et demie les environs de la sucrerie Australia. Il fallait alors traverser Matanzas et prendre la Vía Blanca. J’arrivai dans la capitale vers six heures du matin. Je ne dirai pas quelle amertume je ressentis en apprenant qu’aucun débarquement n’avait eu lieu. Ce fut peut-être la seule chose qui réussit à l’administration étasunienne dans son équipée guerrière, comme je l’ai dit dans la première partie de ces Réflexions.
Sans perdre un instant, je me dirigeai au Point Un et commençai à travailler de nouveau à 8 h 30. C’est trois heures après que je reçus la nouvelle que l’ennemi avait pu se retirer sans encombre et réunir ses hommes et ses armes à Playa Girón. Je me confortai dans ma conviction que la direction principale de l’attaque ennemie était Playa Girón et qu’il avait déjà épuisé sa force de mercenaires qui lutteraient désespérément pour s’enfuir.
« 11 h 42. À Augusto. Australia. C’est une honte que ces types se soient retirés pour Playa Girón, c’est une honte ! C’est du je-m’en-foutisme de n’avoir pas dépêché au moins une compagnie pour leur couper la marche. Vous auriez déjà dû mobiliser une compagnie sur la route ; partant de Soplillar, elle aurait déjà dû atteindre la côte ! Tu le lui as donné ? À quelle heure ? Parce que tu comprends combien c’était simple de situer une compagnie sur la côte et de couper la retraite à ces gars. Sinon, ils vont continuer de résister !
« Eh bien, alors, tu vas dire à Fernández de ma part… qu’il doit avancer… ! Dis-lui de faire ce qu’on lui a dit. Passe-moi Julio [nom de guerre de Flavio Bravo]. Julio, comment se fait-il que vous n’avez pas coupé la retraite à ces gars-là ? Écoute, Julio, vous auriez déjà dû avoir dépêché une compagnie pour leur couper la retraite. J’ai ordonné d’envoyer des troupes d’infanterie et de leur couper la retraite. Pourquoi vous ne l’avez pas fait ? C’était élémentaire, en plus ! Ils n’auraient jamais plus pu repartir ! Le moindre des choses, maintenant, c’est poursuivre ces gars-là, avec des chars ! Les six chars…
« Écoute, Julio, tu leur dis de ma part de prendre les chars ou ce qu’ils ont sous la main et de se lancer à leur poursuite. Et ils ne poursuivent pas encore l’ennemi ? Dis donc, ils ont signé un pacte de non-agression avec les mercenaires !
« À Del Valle. Dis à Curbelo que l’ennemi se retire de Playa Larga vers Playa Girón, qu’il les poursuive et lui tombe dessus, et qu’il informe de la situation.
« À Julio. Écoute, je vais envoyer l’aviation, puisque vous les avez laissé échapper alors que vous auriez dû les poursuivre ! Quelle conception de la guerre vous avez donc ! Que faites-vous avec tant de canons et tant de chars ?
« C’est une honte, Julio ! Tu dois les envoyer poursuivre l’ennemi tout de suite. Je vais les faire poursuivre par les avions. Mais nous avons des batteries antiaériennes à ne plus savoir qu’en faire ! Et que les chars qui sont là avancent aussi ! Voyez un peu comment vous les poursuivez jusqu’à Playa Girón, pour qu’un navire n’aille pas les recueillir. Prenez les chars et tout ce que vous avez. Un ennemi en fuite n’offre pas de résistance. Tombez-leur dessus avec les chars. Si vous le faisiez, ce serait parfait. Mais les mercenaires vont vous filer entre les doigts, c’est moi que vous le dis, ils vont vous filer entre les doigts ! Mais faites-le donc, bon dieu, en plein jour, parce que les chars roulent mieux le jour ! [...] Dis-lui d’arrêter de réparer ses chars, bordel ! Qu’il rejoigne les autres, et poursuivez-les. Les mortiers et la DCA, derrière. Nous allons réaliser le plan d’hier soir, maintenant qu’ils sont en fuite. »
Je prie le lecteur de me pardonner les gros mots. Si je ne les reproduisais pas, je trahirais la vérité des événements que je raconte.
Je dirai aussi que je n’ai pas dépêché seulement le bataillon de la 1re colonne aux ordres d’Haroldo Ferrer, qui avait rejoint notre troupe rebelle aux environs de Chivirico au milieu de l’année 1957, comme Almeida le rappelle dans son livre Por las faldas del Turquino. Il était accompagné de Néstor López Cuba avec quinze chars et blindés, de nombreuses batteries antiaériennes, des mortiers lourds, vingt-quatre obusiers de 122 mm, et de la compagnie de bazookas de Roger García Sánchez. Leur mission était de s’emparer de Playa Girón. Ces courageux combattants n’étaient pas des artilleurs experts, mais ils en savaient assez pour pulvériser les forces mercenaires. Je sais qu’on a formulé ensuite quelques allusions péjoratives au sujet du manque de préparation de ces artilleurs. Si on avait connu notre ignorance en matière de mortiers et de bazookas – sans parler d’obusiers et de chars – quand nous luttions dans la Sierra Maestra, personne n’aurait osé lâcher un mot péjoratif au sujet des hommes qui prouvèrent largement à la bataille de Playa Girón ce qu’ils étaient déjà capables de faire avec ces armes-là.
Bien des années plus tard, j’ai appris et corroboré des faits qu’après cette victoire heureuse, bien que coûteuse, je n’ai pas eu l’occasion de connaître avec la précision requise. Sur certains points, la vérité historique ne s’ajustait pas rigoureusement aux faits.
Je poursuis mon récit en me basant sur des documents d’une rigueur historique irréfutable et parfois sur des versions de participants qui ont joué un rôle important dans les événements. Pour ma part, j’ai toujours exprimé avec rigueur ce que je savais alors et que je ne pouvais oublier.
« 12 h 00. Kike (capitaine de l’Armée rebelle Enrique González). Dépêche la grande compagnie. D’abord, la petite, et après la grande, avec leurs propres transports. Combien ? Dix ? Mais nous voulons faire entrer en action une demi-compagnie de plus. Je ne te l’ai pas dit parce que je croyais qu’on n’allait pouvoir dénicher des draisines, mais nous avons déniché des trains. Conduis-le avec des fardiers, en prenant par Colón à Aguada, à Real Campiña, à Yaguaramas, et qu’elles s’installent là. C’est très important. Tu crois que tu peux les conduire toutes en draisine ? C’est possible ? Bon, alors, en draisine. On va si on peut obtenir les dix draisines, parce que cette avancée de demain est importante.
« Tout va bien, ces salauds se retirent, mais ils vont pouvoir s’en aller si nous continuons de faire les cons. Que la colonne de Roger y aille, qu’elle se situe à l’Australia et qu’elle y attende des ordres du compañero qui va aller avec eux pour remplir une mission spéciale, le compañero Aldo Margolles. S’ils peuvent y être ce soir, magnifique, ce serait sensass. À Yaguaramas ? Si c’est vrai, que ça sonne bien! Oui, une grande quantité de canons, oui. Bien, positionne-les ave Pedro García. Il faudrait envoyer une remorque d’obus de 122, au moins quatre ou cinq milles.
« 12 h 05. À la batterie de Puentes Grandes, qu’on envoie la batterie expérimenée à la Covadonga aux ordres de Pedrito Miret, et l’autre dans l’Est, à Raúl.
«12 h 07. À Curbelo. Il faut que vous repériez la position des mercenaires à cet endroit. Dites-nous où sont ces salauds et foudroyez-les ! Ils vont vouloir réembarquer, et ça, c’est pire que s’ils nous faisaient une tête de pont ! Oui, ils vont réembarquer, ils reculent.
«12 h 10. À Augusto. Australia. Dis à Fernández… de prendre des chars ou ce qu’il veut, et de poursuivre ces gars, parce qu’ils vont nous échapper.
« Fais parvenir à Fernández en moto cet ordre urgent : se lancer à la poursuite de ces mecs avec les engins blindés qu’il a. Que les chars aillent derrière, mais ils doivent dépêcher une avant-garde de chars pour faire où ces mecs vont se fourrer. Ces mecs se retirent, ils sont démoralisés, et il faut les poursuivre. Ça me fait rager qu’un seul foutu salaud d’ennemi vaincu nous file entre les doigts ! Je te le dis, Augusto, ils vont nous échapper ! Il faut occuper Girón ! [...] J’ai envoyé l’aviation poursuivre ces mecs et je pensé les poursuivre sur toute la route.
« 12 h 13. À Aldo Margolles (capitaine de l’Armée rebelle). Vous devez avancer cette nuit le plus possible et faire un effort surhumain pour pouvoir vous installer au petit matin à cette position. Cherche tous les moyens possibles pour y arriver en véhicules. Ils ne vont pas trouver par où fuir.
« 12 h 15. À Osmany. On ne pourrait pas y envoyer en hélicoptères une compagnie cette nuit ? Appelle le terrain de Baracoa et vérifie-moi combien nous avons de grands hélicoptères et de pilotes !
« 12 h 17. Aldo Margolles. Mobilise un bon chef de bataillon. Envoie-le en camion. On va le mettre à Yaguaramas, on va envoyer les hélicoptères sur la côte. Eux, ils vont croire que ces hélicoptères sont à eux, comme ça on leur coupe la retraite.
« 12 h 24. À Curbelo. FAR. Ils inspecteront la route de Playa Larga a Girón, qu’ils inspectent, et c’est très important qu’ils disent à quel endroit ils les ont repérés. Ecoute bien, prépare tous les avions, nous attaquerons ce soir par toute une série d’opérations nocturnes. Tout ce que tu as de disponible, avec toutes les bombes et tout le fourniment. Dis à tes gars qu’ils doivent mettre le paquet dans les prochaines vingt-quatre heures, pareil que nous. Et après, tu m’informes des résultats. Cette nuit, on va y mettre le paquet ! On doit attraper jusqu’au dernier de ces mecs !
« 12 h 25. À Kike. Combien de draisines tu as montées ? Ils peuvent partir tout de suite ? En combien d’heures tu me garantis que ces draisines peuvent être à Yaguaramas ? Bon, alors, dis à tes gens qu’ils se pressent, parce que les autres sont en train de se retirer, et c’est très important, ça. Je sais que ça va vous prendre plus de cinq heures… Si c’est huit, je l’accepte encore. Le hic, c’est que ces salauds puissent tenter de se retirer. Oui, qu’ils soient là-bas le plus tôt possible, qu’ils démarrent.
« 12 h 26. Augusto. Australia. Augusto, ces mecs vont partir! Ça y est ! Et les chars, où ils sont ? Les autres arrivent. Envoie un autre message à Fernández, dis-lui de ma part qu’à mon avis, l’ennemi est en train de se retirer en général, complètement démoralisé, que c’est le moment de lui tomber dessus, sans trêve, il faut tenter d’occuper Girón parce que, sinon, ils filent. Tu lui dis de leur tomber dessus dans la journée, sans trêve, dis-lui de bien comprendre que c’est le moment psychologique pour leur tomber dessus. Fais-lui dire par un autre motard, de toute urgence, qu’il faut tenter d’occuper Girón à tout prix, aujourd’hui dans l’après-midi, avec les chars en formation et les mortiers derrière, les mortiers et les obusiers. Qu’il profite des huit chars que nous pouvons mettre en mouvement, et qu’il leur tombe dessus sans arrête, qu’il faut prendre Girón cet après-midi, faire un effort suprême.
« Ecoute-moi bien, Augusto, il est très important que tu fasses comprendre à Fernández et à Julio que l’ennemi bat retraite, démoralisé, qu’il y a des symptômes de retrait à d’autres endroits, que c’est le moment de leur tomber dessus, sans trêve : qu’il avance avec les huit chars, car ces mecs-là ne peuvent pas le supporter, qu’il leur détruise le char qu’ils ont et qu’il leur occupe Girón. Nous, on va ordonner une série d’opérations et avancer par d’autres points. Que c’est le moment, écoute bien ! Envoie-lui le motard à fond de train.
Une autre bataille commençait pour moi : persuader nos compagnons qui avançaient depuis Playa Larga que l’ennemi ne tenterait pas de débarquer de nouvelles forces, mais qu’il rembarquait.
« 12 h 35. À Del Valle. On va placer cette compagnie de combat légère à Yaguaramas [la 122e aux ordres du lieutenant Debién] à toute allure, pour les empêcher de fuir.
« 12 h 37. Baracoa. Il y en a cinq qui savent piloter les gros oiseaux, il y en a cinq qui le savent? Fais chercher d’urgence les trois pilotes, qu’ils se présentent, qu’ils vont recevoir des instructions là à Baracoa. Je vais envoyer quelqu’un. Oui, qu’ils restent sur place, avec les hélicoptères prêts à partir d’urgence.
« 12 h 42. À Del Valle. Envoie quelqu’un à Baracoa, ou fais dire à Baracoa que les pilotes doivent venir par ici dès qu’ils sont prêts. La légère de combat de Yaguaramas et son chef ici, et les pilotes des hélicoptères ici. Appelle l’aviation, qu’on mette à Yaguaramas un réservoir d’essence d’hélicoptère.
« 12 h 45. À Almeida. Las Villas. Quelles nouvelles y a-t-il de là-bas, de ton côté à toi ? Où ? À Caleta de Cocodrilo ? Il est là ? Dis-lui de se positionner là. Et ça résiste devant ? Dis-lui de se positionner là, nous, on va faire une manœuvre, mais qu’ils n’aillent pas plus loin. [...] René à Cocodrilos ? Mais Matey et Cocodrilos sont sur la côte ? Mais où est allé René ? [...] D’où est-il parti, par Juraguá ? Mais Pupo est sur la côte, en train d’avancer vers Girón. Il avance vers Girón sans ennemis ? Moi, ce qui m’intéresse, c’est occuper la côte à l’est de Girón, c’est extrêmement important, parce qu’ils vont fuir par là, ils vont fuir et ils vont tomber dans les mains de ceux qui avancent sur la côte.Si c’est possible, envoie quelqu’un, même à cheval, pour dire à Pupo d’avancer dans la nuit autant qu’il peut en direction de Girón, et envoie derrière un autre bataillon. J’avais une troupe prête à envoyer là-bas en hélicoptère, mais, comme ça, je ne crois pas que c’est nécessaire. Envoie ce bataillon derrière Pupo, moi, de toute façon, je pense utiliser cette force aéroportée. [...] Ils battent en retraite. Playa Girón, on pense l’occuper ce soir. San Blas est tombé ? Bien, nous, on va détruire l’ennemi ce soir à San Blas, on va le canarder avec les vingt-quatre obusiers. [...] il faut envoyer, à cheval ou comme vous voulez, un avis à Pupo pour qu’il avance dans la nuit sur Girón et qu’il se situe à quatre kilomètres de là, pas plus. Ils sont mille cinq cents, selon les nouvelles. Un prisonnier ? Ils ont envoyé tous ceux qu’ils avaient… Tout marche fantastiquement bien, mais on va faire les idiots, jusqu’à demain.
« 13 h 00. À Del Valle. L’aéroportée va faire une opération audacieuse consistant, en partant de Yaguaramas, à situer sur la route même, entre Cayo Ramona et Girón, une compagnie de combat légère.
« 13 h 01. À Omar (commandant de l’Armée rebelle Iser Mojena). Prends quatre serveurs de bazookas avec quatre aides et suffisamment de munitions, au moins douze grenades chacun. On va faire une opération aéroportée, et tu vas t’installer derrière les lignes ennemies, contre un ennemi en train de décrocher, afin de le couper en deux. On va lui situer une compagnie entre ces deux points, dans les lignes ennemies. Ces serveurs de bazookas peuvent aller en hélicoptère. On va assurer une protection aérienne à l’hélicoptère. Fais préparer six serveurs de bazooka avec leurs aides, et dis-leur de se rendre en terrain d’aviation de Baracoa.
« À Curbelo. Oui, je t’écoute. Qu’est-ce qui va là-bas? Deux Sea-Fury, deux avions à réaction et combien de B-26 ? Avec quatre bombes de 500 livres ? Tout le monde ensemble ? Les Sea-Fury attaquent déjà ? Bravo, c’est un succès ! Vois un peu, Curbelo, l’importance d’attaquer cette route, surtout si on les repère, si on repère le char en train de décrocher, si on détruit Girón. Quand ils ont l’impression que le calme se rétablit et qu’ils commencent à préparer le rata […] le soir, on va les laisser tranquilles ? Pourquoi ? Ah, c’est facile de repérer le point la nuit, quand il y a des lumières. [...] Il vaudrait la peine de faire un effort, parce de nuit ça vaut le coup, parce qu’ils sont vaincus et que nous devons leur tomber dessus avec plus de forcé que jamais pour finir de les battre. [...] avec ça cette nuit, je crois que nous allons bien venger les compagnons qui sont tombés là. Écoute-moi, il faut rendre un hommage aux pilotes, un hommage public, parce qu’ils sont été les héros de la journée !
« 13 h 10. A Almeida. Sûr, mais qu’il n’occupe pas Girón. Qu’il se prépare à la capturer, que les chars y aillent. Almeida, ratifie cet ordre si tu peux, à cheval, à dos de mulet, en jeep ou avec n’importe quoi. L’autre point est le suivant : cette nuit, l’artillerie va aussi fonctionner par là-bas, et s’ils ne se sont pas retirés de San Blas, on va leur tomber dessus, comme on n’est jamais tombé sur personne en si peu de temps, avec cinq mille projectiles de canon. On va bombarder Bermeja, Cayo Ramona, Helechal, et tout ça avec des canons de 122 mm, et on va préparer une unité de chars pour avancer dans cette direction. Garde le secret ! Avec qui ? Mais Pupo est à plus de mille lieues de là où vont tomber les obus ; si Pupo se ramasse un projectile de canon, c’en sera un qui aura dévié des chars de Playa Larga.
« Qu’est-ce que tu dis ? Un Étasunien et trois Cubains ? Quand ? Maintenant ? Un canon de 57 et un autre de 85, antichar. Qui ? René est allé briser la ligne de San Blas et de Caleta de Cocodrilo ? Mais il n’a encore rien occupé, il n’a pas occupé San Blas. Dis-lui de surveiller l’ennemi au cas où il se décrocherait, mais j’espère bien qu’il ne décrochera pas, parce que comme ça nous allons le coincer et lui couper le repli sur Girón.
Le commandant Juan Almeida au moment de Playa Girón
« 13 h 27. À Augusto. Comment sais-tu qu’il avance ? À quelle vitesse ? Un prisonnier de plus ? Qui c’est ? Que dit-il ? En gros, pareil. Combien de navire leur a-t-on coulé ? Et ce prisonnier, d’où sort-il ? Quel plaisir vous vous offrez, vous, derrière eux ! Envoie à Fernández un autre motard, dis-lui que l’ennemi est battu, qu’il le poursuive le plus tenacement possible, dis-lui qu’il est battu, qu’il le poursuivre, que c’est le moment psychologique. Tu le lui redis : qu’il le poursuive sans trêve. Dis-lui que Pupo est à deux kilomètres de Playa Girón, à l’est, qu’il se dépêche, ou sinon Pupo occupera Playa Girón, car les mecs sont totalement coincés. Qu’il se dépêche, à toute vitesse, qu’il y aille avec les chars. Il a une foutue chance ! Je ne sais pas pourquoi il est 13 h 30. Et Fernández, il avance ? Les prisonniers ? Envoie-les tous ici. Des voitures ? Parce que tu crois que les prisonniers qu’on va attraper demain, aujourd’hui et demain, vont tenir dans des voitures ! J’ai une idée. On peut envoyer deux prisonniers à l’avant avec une promesse : que tous ceux qui se rendront auront la vie sauve… Je te dis que nous pouvons les attraper presque tous rien qu’en envoyant les deux prisonniers là-bas.
«13 h 35. À Del Valle. Je crois qu’il faut annoncer au peuple que je lui parlerai demain. Je vais me présenter à la télévision avec quarante prisonniers et dire : "À vous la parole, messieurs !"
« 13 h 49. À Ameijeiras. Tu dois te dépêcher le plus possible ; les chars vont sans doute atteindre Playa Girón aujourd’hui.
« 13 h 51. À Gonzalo (Chele). Covadonga. Quelles nouvelles as-tu ? Qui est à San Blas ? L’ennemi ? Il arrive à San Blas ? Depuis hier. C’est le pas le plus difficile à franchir, San Blas ? Que les armes qu’on leur a saisit ne tiennent pas dans un camion ? Où, de Covadonga a San Blas ? Alors, San Blas est tombé ? Mais comment a-t-il pu ne pas tomber si vous leur avez pris tant d’armes ! Alors, ils sont foutus, et cette position est perdue.
« 13 h 54. À Efigenio. Votre opération, faites-la toujours, parce qu’il se peut que vous trouviez les gens là. Il serait peut-être bien d’occuper tous les hameaux entre Soplillar et le point où Margolles va sortir.
« 13 h 56. Augusto. Australia. Des nouvelles ? Oui. Qui ? Mais, bordel, il n’attaque pas Playa Girón ? Avec quoi, putain de merde, Pupo va-t-il attaquer Playa Girón ? Fernández, il avance ? Ecoute, si avec huit chars, Fernández n’occupe pas Playa Girón avant six heures de l’après-midi… parce qu’avec huit chars, avec l’artillerie que possèdent ces chars et tout le reste, s’il ne l’occupe pas, alors qu’il se retire. Écris-le-lui, et envoie-lui un motard : que si, avec huit chars, vingt-quatre obusiers, une batterie de mortiers et cinq mille hommes qui vont derrière lui, il n’occupe pas Playa Giron avant six heures de l’après-midi, il se ridiculise face à un ennemi en fuite ! Qui est leur chef à tous ? Frank est venu ? Il ne sait pas qui est le chef ? Neuf avions B-26 du Nicaragua ; dix P-54 ; lundi, 14 h, cinq bateaux étasuniens de García Land6 ; un bâtiment de la marine étasunienne a amené les chars et la barge de débarquement ; les bateaux sont partis de Puerto Cabezas7. Ce type-là, il est tranquille, ou il est nerveux ? Un bateau de guerre, celui qui a bombardé la Texaco8. Ils s’entraînent sur l’île de Diegues, à Porto Rico9. Et nous ne l’avons pas coulé ? Avec une équipe d’hommes-grenouilles qui se sont positionnés deux heures dans le canal par où devaient passer deux destroyers de la marine étasunienne, l’un avec le numéro 507, afin qu’ils puissent pénétrer à deux milles de la côte ou moins, tous feux éteints. Leur plan, avec cinq cents qui devaient débarquer à Baracoa, dans l’Est. Un simulacre de débarquement face à Pinar del Río, leur force de l’air a agi deux ou trois jours avant le bombardement, bombardant nos objectifs militaires. Il dit que seuls trois avions ont bombardé10.
« Et le Galicien11, qu’est-ce qu’il fout ? Pourquoi n’en finit-il pas d’attraper tous ces gens-là ? Ray12 est en désaccord avec le Conseil, parce qu’il veut maintenir la milice, et le Conseil ne le veut pas. Cet analphabète politique, d’où il sort ? Il est Cubain ? De Santa Clara ? Fils de bourgeois13, ou non ? Que faisait-il, cette vermine ? Impresario de théâtre… le père Cabelo, jésuite… Qui d’autre ? Un simulacre de débarquement en Pinar del Río. Tu ne peux pas nous les envoyer pour gagner du temps? D’accord, envoie-les sous bonne garde, direct ici, au Point Un. »
Des chars avancent vers le théâtre d’opération.
Traduction de messages ennemis interceptés
« 13 h 02. Rapporté par la FAR : Premier message : "Sous attaques aériennes continues, avons besoin appui aérien. Le bateau de communication coulé GFDLYD93". Deuxième message : "Code 0940 WK170461, sous attaque, avons besoin désespérément d’appui aérien. Deux bateaux coulés. Maintenant, plus d’appui aérien." Le code du premier message : WXI181461. »
Témoignage d’Haroldo Ferrer Martínez
« Le 18, au petit matin, nous avons occupé Playa Larga dans une certaine confusion, parce que dans le noir nous nous sommes mêlés aux mercenaires qui occupaient encore leurs positions. L’ennemi s’est replié sur des camions et d’autres moyens.
« Après, on nous a demandé de nous retirer. J’ai regroupé nos forces, les blessés, et ceux qui avaient suivi jusqu’à Colón n’étaient pas entrés en contact avec nous. Je me suis efforcé de regrouper la colonne et à pied c’était plus difficile. Après, on nous a donné l’ordre de passer à la réserve et c’est le bataillon de la PNR, une unité fraîche, qui nous a remplacés. »
Témoignage de Víctor Dreke Cruz
« Le 18, on nous a ordonné d’avancer, nous sommes arrivés presqu’à la sucrerie Covadonga où nous nous sommes installés, et nous avons bloqué l’entrée de cette zone, parce que le 19, au petit matin, un pilonnage allait se dérouler, et qu’après, on devait avancer avec les chars, l’infanterie et l’artillerie.
« Le commandant-en-chef est arrivé dans l’après-midi à Covadonga et il a donné des instructions d’occuper Girón : on devait pouvoir toucher les eaux de la plage le 19, à 18 h. Les chefs qui ont dirigé l’offensive dans ce secteur ont été les commandants René de los Santos, Filiberto Olivera, Raúl Menéndez Tomassevich, Víctor Bordón Machado, Evelio Saborit et le capitaine Emilio Aragonés.
Témoignage d’Orlando Pupo Peña
« Le 18 avril, au petit matin, j’ai ordonné à un groupe d’explorateurs d’avancer ; nous avons fait descendre les miliciens des camions et nous avons commencé à avancer à pied. On va demander à des paysans de nous indiquer le chemin, parce que nous ne connaissions pas le territoire…
« Je me rappelle que la mission concrète qu’avait ordonnée le commandant en chef et que le Galicien Angelito m’a transmise était : "Pupo, prend ce bataillon, longe toute la côte jusqu'à Playa Girón jusqu’à ce que tu te heurtes aux mercenaires, caresse-les, tu n’as pas besoin de prendre Girón, tu dois juste leur résister pour qu’ils ne puissent pas avancer de ce côté-là."
« …et le reste du bataillon a resté derrière, parce qu’il n’y avait pas d’espace. La force de l’avant-garde, c’était ces deux groupes de combattants. Nous avons avancé, et nous avons eu trois compagnons blessés, l’un avec une blessure très grande dans le dos, et deux autres qui sont morts après à l’hôpital de Cienfuegos. L’un, nommé Captetillo, est mort, et Arce a été blessé. Nous somme arrivés à des monticules de terre rocheuse où on dirait que des travaux de construction avaient commencé.
« …à ce moment-là, trois bazookas nous sont arrivés, avec leurs trois serveurs, envoyés par le commandant-en-chef en hélicoptère. C’étaient trois compagnons de la compagnie de bazooka de l’INRA : José Bechara Rodríguez, Luis Céspedes Batista et Sergio Álvarez Matiense. »
À 21 h, le capitaine Fernández écrivit une note au commandant Augusto Martínez pour l’informer de la situation sur le front, selon ce que rapporte Quintín Pino Machado dans son livre :
«Commandant Augusto:
« 1. Pensons avancer pour entrer en contact avec l’ennemi à Girón. Croyons pouvoir situer nos lignes à 2-3 kilomètres de Girón.
« 2. Installons les 122 en position, ainsi que les mortiers. Veuillez m’envoyer deux autres batteries de mortiers 120 maintenant, pour pouvoir les utiliser. Comme ça, ferai feu sur l’ennemi toute la nuit.
« 3. À l’aube, pensons attaquer avec l’artillerie, l’infanterie, les chars, et faire avancer l’infanterie sur Girón.
« 4. Vu l’expérience, pensons avoir besoin d’une grue pour retirer les chars endommagés. Demander urgence chenilles de char à Managua.
« Fernández. »
C’est là toute l’information que j’ai reçue de Fernández le 18 avril à partir de 10 h 30. Plus de dix heures s’étaient écoulés sans que le Q.-G. ait eu la moindre nouvelle de ce qu’il se passait dans la direction Playa Larga-Playa Girón. D’Haroldo et de López Cuba, chefs de la 1re colonne et des chars et blindés qui avaient attaqué Playa Larga, on n’avait reçu aucune nouvelle ce jour-là.
Je m’attachais durant ces heures-là à organiser les forces révolutionnaires qui attaquèrent les envahisseurs depuis le nord et le nord-est de Playa Girón.
À suivre prochainement.
Fidel Castro Ruz
Le 25 mai 2011
14 h 25
Notes :
1. Pedro Alvarez Tabío fut surtout, en ce qui concerne son œuvre personnelle, le chroniqueur de la guérilla dont il fut l’un des premiers à reconstituer patiemment l’itinéraire et les faits au jour le jour. Cf. entre autres Diario de la Guerra, La Havane, 2010, Oficina de Publicaciones del Consejo de Estado, 2 tomes (le second avec Heberto Norman Acosta).
2. Autrement dit, la base navale étasunienne maintenue illégalement par Washington à Guantánamo.
3. Je traduis littéralement ce message pas du tout clair : « A chorro enemigo listo en estos momentos.” L’idée pourrait être aussi : nous sommes prêts à tirer sur avion ennemi. Il n’existait aucun avion « ami » dans le ciel cubain, uniquement ceux des Forces de l’air cubaines, qui étaient « nos » avions, et non des avions « amis ».
4. Quintín Pino Machado, La Batalla de Girón. Razones de una victoria, La Havane, 1983, Editorial de Ciencias Sociales, p. 121.
5. L’auteur précise: “Fidel… était furieux qu’on n’ait pas effectué la manœuvre visant à leur couper la retraite qu’il avait tant planifiée et que le 144e bataillon ne soit pas arrivé à Caleta de Rosario par Soplillar. » (Id., p. 123.)
6. Erreur de transcription : García Line Corporation. « Le gros de 1 543 mercenaires de la Brigade viendra à bord de cinq des six cargos de 2 400 tonnes appartenant à la García Line Corporation : le Río Escondido que la CIA a déjà utilisé pour exfiltrer des contre-révolutionnaires, notamment Nino Díaz et Manuel Ray (il transportera 145 tonnes de munitions, 162 000 litres d'essence pour véhicule, 12 000 litres d'essence pour avion, 5 camions de deux tonnes, dont celui des télécommunications chargé d'assurer la liaison entre la brigade et Washington, 4 remorques et 1 camionnette) ; le Houston (12 tonnes de nourriture, l'eau potable, 1 000 litres d'essence pour véhicule, 5 tonnes de munitions pour arme individuelle, 8 tonnes d'explosifs, 1,5 tonne de phosphore) ; le Caribe (700 roquettes air-terre, 500 bombes à fragmentation de 220 livres, 56 000 litres d'essence et 1 200 litres d'huile pour avion, 10 tonnes de munitions calibre 50, des pièces détachées et des outillages pour appuyer six vols par jour d'une heure pendant dix jours, des fusils et des munitions pour 7 000 hommes, des équipements pour soutenir les vols de B-26 pendant une semaine) ; l'Atlántico (des munitions pour chars, obusiers et bazookas, des grenades, des fusils et des explosifs de démolition) et le Lake Charles… » (Jacques-François Bonaldi, L’Empire U.S. contre Cuba. Du mépris au respect, Paris, 1988, L’Harmattan, t. II, pp. 294-295.)
7. C’est aussi de ce port nicaraguayen de la côte Atlantique (le Happy Valley de la CIA) qu’ont décollé, le samedi 15 avril 1961, les avions B-26 mercenaires qui ont bombardé les aéroports civils et militaires de Ciudad Libertad à La Havane, de San Antonio de los Baños et de Santiago de Cuba. Outre les bateaux susmentionnés, « la flotte de débarquement comprend aussi trois LCU (Landing Craft, Utility) dont le plus grand emporte les cinq chars prévus, des camions, des jeeps, un bulldozer et 12 000 litres d'essence, et quatre LCVP (Landing Craft, Vehicle and Personal), dont chacun peut emporter trente-six hommes d'infanterie. Contrairement aux usages, chaque LCU sera équipé de deux mitrailleuses 50 et chaque LCVP, de plusieurs mitrailleuses 30. Les barges emportent les équipages de débarquement, une cinquantaine d'hommes. Ces sept Landing Craft seront débarqués en vue de la baie des Cochons, le dimanche 16 avril, dans la nuit, par le San Marcos, un LSD (Landing Ship Dock) de 150 mètres de long, qui réalise l'opération en moins d'une heure puis disparaît. Le dernier élément de la flotte de débarquement est un LCM (Landing Craft Mechanized). » (Id., p. 295.)
8. « Le lundi 13 mars 1961, à trois heures du matin, une vedette rapide armée de mitrailleuses de gros calibre et d’un canon de 57 mm a tiré sur la raffinerie de Santiago de Cuba. Une nouvelle victime fatale s’ajoute à une liste déjà longue. Dans son discours du même jour, Fidel, après avoir taxé cette attaque d’ "action insolite", précise que les seules personnes à pouvoir fournir cette vedette rapide aux contre-révolutionnaires, ce sont les membres du gouvernement nord-américain, à partir des seules bases d’où ils peuvent partir, des bases "organisées par le gouvernement des États-Unis à l’usage des contre-révolutionnaires". Dans une lettre de protestation adressée le même jour au secrétaire général des Nations Unies, Raúl Roa signale une nouvelle fois que cette attaque "fait partie du plan préalable à l’invasion de Cuba… préparée par la CIA, avec les encouragements et le soutien du département d’État et du président Kennedy". Que la Révolution ait été dans le vrai, on en aura la confirmation de la bouche même des auteurs, quand Jack Hawkins (?) déclarerait devant la commission Taylor que les deux LCI acquis en début d’année par la CIA avaient été "utilisés pour d’autres opérations, tel le raid contre la raffinerie de Santiago". » (Id., pp. 292-293.) Le nom de ce LCI était le Barbara J. qui transportait, entre autres, des armes pour cinq cent hommes. Avec l’autre LCI, le Blagar, qui transportait des armes pour mille hommes, ils avaient conduit deux équipes de six hommes-grenouilles chacun à la côte : leur mission était aussi de s’assurer que la Brigade avait bien débarqué et de lui fournir toute l’aide requise ; dès que la tête de pont aurait été fermement établie, ils devaient se retirer et être prêts à débarquer leur chargement à tout endroit où les contre-révolutionnaires de l’intérieur pourraient l’utiliser au mieux (id., p. 295).
9. Erreur de transcription. Il s’agit de l’île Vieques, siège de plusieurs bases militaires et navales étasuniennes, et où furent entraînés les hommes-grenouilles.
10. Fidel semble lire ici, de toute évidence, des documents de la CIA présentant toute l’opération prévue et tombés entre les mains des révolutionnaires et reprendre des informations données par des prisonniers. Il lira d’ailleurs longuement ces documents dans son intervention télévisée du 23 avril 1961. (Playa Giron. Derrota del imperialismo, La Havane, 1961, Ediciones R, Primer Tomo : La Invasión y los Héroes, pp. 473-483.)
11. José Ramón Fernández, que tout le monde appelait el Gallego.
12. Manuel Ray, ingénieur qui durant la période insurrectionnelle, avait organisé la Résistance civique, un mouvement regroupant des membres des professions libérales et de la petite bourgeoisie opposés à Batista. En janvier 1959, fut nommé ministre des Travaux publics, un poste dont il démissionna en octobre à l’occasion de la rébellion d’Hubert Matos en Camagüey. S’éloignant de plus en plus de la ligne révolutionnaire, il finit par organiser un mouvement clandestin, puis par s’enfuir aux USA où la CIA le fit entrer au Conseil révolutionnaire cubain, pour lui donner une tonalité plus « progressiste », en faisant même le représentant d’un « fidélisme sans Fidel »… Celui-ci avait fait allusion à lui, sans le nommer, dans son discours du 4 mars 1961 (premier anniversaire du sabotage du la Coubre : « Malheureux ceux qui ont déserté des rangs de l’armée du peuple ! […] Triste, encore bien plus triste la situation de ceux qui ont été nos compagnons, des compagnons de voyage de la Révolution, qui sont montés dans le train à une gare ou à une autre, qui sont arrivés à un endroit donné et qui sont passés à l’ennemi ! »
13. Fidel utilise une expression tirée du jargon populaire et très connotée de l’époque, où la lutte des classes battait alors son plein : siquitrillado, autrement dit l’exploiteur, le bourgeois dont les lois révolutionnaires avaient limité les privilèges ou nationalisé les biens. Partirle la siquitrilla revenait en quelque sorte à « lui casser les reins ».