Allocutions et interventions

Pour le Vingtième Anniversaire de la Révolution, devant L’assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, au Théâtre Karl Marx, le 1er janvier 1979

Date: 

01/01/1979

 

Chers invités ;

Compañeros députés de l'Assemblée nationale du pouvoir populaire ;

Compatriotes :

Le hasard a voulu qu'après la dure lutte des hommes, la Révolution triomphe dans notre pays un 1er janvier. C'était vraiment alors la première fois que le premier jour d'une année nouvelle signifiait pour Cuba qu'en même temps que tombait la dernière page du vieux calendrier, un monde s'enfonçait et un autre monde naissait.

C'était un changement non d'années, mais de siècles, voire de millénaires. Non que nous fussions aussi vieux que la Grèce ou Rome, mais la société de classes, d'exploitation et d'ignominies qui était condamnée ce jour-là à voir le début de sa fin était plus vieille que la Grèce ou que Rome mêmes. C'est à juste titre que Marx disait que l'avènement du socialisme était la fin de la préhistoire de l'humanité.

Nous n'étions peut-être même pas suffisamment conscients du pas gigantesque qu'a signifié dans l'histoire de notre patrie et du continent américain ce 1er janvier 1959 qui était appelé à devenir également un événement extraordinaire dans le développement du mouvement révolutionnaire mondial.

Quarante et un ans et deux mois après la glorieuse révolution d'Octobre, la première révolution socialiste débutait sur le continent américain. Quatre siècles et demi après la découverte de l'Amérique, une société qui était le résultat de la Conquête, de l'extermination de la population aborigène, de la colonisation, de l'esclavagisme, du capitalisme, du néo-colonialisme et de l'impérialisme allait connaître son premier changement véritablement profond et irréversible. Et ce changement survenait aux portes mêmes du pays impérialiste le plus puissant du monde.

Quand nous apprécions aujourd'hui la portée de ce fait, nous ne pouvons faire moins que rappeler avec émotion et gratitude l'abnégation et la modestie des combattants qui ont permis de réaliser cette tâche dans l'histoire de Cuba et de l'Amérique.

C'est le 1 or janvier 1959 qu'arrivait vraiment à terme la lutte héroïque lancée à Yara presque cent ans avant. C'est à notre génération qu'est échu l'honneur de jouer un rôle marquant dans la conclusion victorieuse de cette longue bataille. Les historiens devront se charger d'analyser à fond le phénomène politique et social en vertu duquel il est revenu à notre peuple le rôle avant-coureur de marcher sur les chemins du socialisme avant aucun autre de notre douloureuse Amérique. On ne saurait l'expliquer uniquement par des facteurs circonstanciels ou moyennant l'interprétation froide et schématique des lois inexorables qui régissent le développement de la société humaine.

Au peuple cubain, à sa bataille historique, difficile et solitaire pour l'indépendance au siècle dernier, à ses traditions combatives, belles et héroïques, à sa volonté de lutte irréductible, il revient un mérite qu'il n'est pas possible de diminuer ou de sous-estimer. Sans idées ni conceptions claires, la révolution est impossible même quand les conditions objectives existent. Mais, sans lutte énergique, résolue, décidée et intelligente, à quoi l'on peut ajouter une énorme dose d'audace, il n'y a pas de révolution possible.

En fait, on ne saurait imaginer de circonstances pires que celles créées par le coup d'État militaire du 10 mars 1952 pour concevoir un changement social aussi profond et définitif que celui qui surviendrait à peine sept ans plus tard. Des gouvernements absolument corrompus et incapables avaient brisé en morceaux les espoirs du peuple. Une vague de répression, d'arbitraires et de violence officielle sans précédent s'abattait sur le pays. La domination impérialiste dans tous les domaines s'accentuait plus que jamais. Le maccartisme était en plein essor et la guerre froide infestait le climat politique international. Cuba était indubitablement, après Porto Rico, la nation de tout le continent la plus liée à la domination des États-Unis. Les propriétaires terriens et les bourgeois, remettant leur sort au pouvoir de l'empire et aux forces répressives bien armées et bien entraînées, ne pensaient jamais sérieusement à la possibilité d'une révolution socialiste dans notre patrie. Mais le régime néo-colonialiste ne reposait pas seulement sur la force des armes; tout un système quasiment invulnérable d'information, de divulgation et d'éducation, de théories et d'idées réactionnaires et de préjugés anticommunistes soutenait les fondations idéologiques de cette société.

Les organisations ouvrières avaient été noyautées par des dirigeants jaunes et par des agents à la solde de la réaction, avec la complicité et le soutien officiels absolus. Le mouvement communiste, incontestablement minoritaire au sein du peuple, était persécuté aussi implacablement que les idées mêmes qu'il défendait.

Il n'est pas possible d'oublier les journées terribles qui ont suivi le coup d'État brutal du 10 mars. Il n'était pas facile de discerner un chemin dans l'épaisse frondaison de cette inextricable forêt politique. Tout le monde ne concevait pas les idées marxistes-léninistes comme l'immense soleil qui éclaire aujour­d'hui tout un peuple, mais comme de minces rayons de lumière qui filtraient à travers l'épaisse frondaison, indiquant, comme une boussole indispensable, comment l'on pouvait expliquer, où pouvait être, en quoi pouvait consister l'issue révolutionnaire de cette situation. Si des circonstances ont mis à dure épreuve la solidité et la force d'une théorie politique, ce sont bien celles de 1952 à Cuba.

Le 10 mars s'était abattu sur la conscience nationale comme un coup de massue blessant profondément l'esprit d'un peuple qui, bien que non encore doté d'une culture politique révolutionnaire, détestait de toute son âme l'abus, l'injustice, le crime, le diktat et la force. Un peuple plein de dignité, dans lequel la corruption, le vice et la politicaillerie sous la république néo-colonisée n'avaient pu arracher les graines d'héroïsme, d'amour de la liberté et de la patrie semées depuis l'époque de nos luttes pour l'indépendance, à Yara, à Jimaguayu, à Baragua, à Baire, à Dos Rios, à Punta Brava, et cultivées par la parole incessante et éternellement inspiratrice de dignité humaine de José Marti (applaudissements).

Ce ne serait pas digne de révolutionnaires marxis­tes-léninistes de méconnaître la force et la valeur de ces facteurs moraux de notre caractère national. Nous avons été, nous sommes et nous serons toujours un peuple rebelle et indomptable; nous avons été, nous sommes et nous serons toujours un peuple qui lutte et qui combat; nous avons été, nous sommes et nous serons un peuple patriotique. Nous sommes en outre aujourd'hui, et nous devrons l'être toujours, un peuple internationaliste (applaudissements).

La tyrannie instaurée le 10 mars pouvait-elle donc être éternelle ? La domination impérialiste sur notre terre pouvait-elle donc être éternelle ? Le crime et la corruption pouvaient-ils donc être éternels ? L'exploitation impitoyable de nos ouvriers et de nos paysans pouvait-elle donc être éternelle ? Le vice et l'injustice pouvaient-ils donc être éternels ? L'oppression et l'ignorance pouvaient-elle donc être éternelles ? L'outrage à la dignité humaine dans notre patrie pouvait-il donc être éternel ? Non, mille fois non !

La force de la tyrannie résidait dans les armes, la terreur, l'ignorance. La force de la révolution résidait dans la justesse de nos idées et dans le peuple, dans sa vaillance, dans ses traditions, dans ses ouvriers et ses paysans exploités, dans ses nobles étudiants, dans ses jeunes modestes. Peu importe s'ils étaient désarmés, parce que sans argent, ni relations ni moyens d'acquérir des armes, il a été indispensable de partir du fait que les armes nécessaires étaient bien entretenues et bien graissées dans les casernes ennemies.

Le peuple avait besoin de leaders. Les leaders étaient dans le peuple. Le peuple a toujours produit ses leaders à chaque étape de nos luttes révolutionnaires. Ce ne sont pas les leaders qui forment les peuples ; ce sont les peuples qui forment leurs leaders.

Aucun des hommes qui-ont figuré ensuite à la tête des rangs victorieux de l'Armée rebelle, le 1er janvier 1959, n'avait été dans des écoles militaires, ni son nom jamais paru en caractères d'imprimerie. Et, hormis quelques-uns, aucun de ceux qui ont figuré plus tard au Bureau politique et au Comité central du parti ou à la tête du gouvernement n'était alors connu.

La presse bourgeoise, les partis bourgeois et l'impérialisme avaient peaufiné d'autres noms, d'autres figures, d'autres leaders. Aujourd'hui des millions de nos jeunes et adolescents ne les ont même jamais entendu mentionner et bon nombre de nos adultes ne s'en souviennent déjà plus.

Mais il a été nécessaire de lutter. Sans lutte, je le répète, il n'y a pas de révolution. Sans la lutte tenace et conséquente des peuples et de leur avant-garde révolutionnaire, il n'y a pas de changements sociaux possibles. Le marxisme-léninisme nous donne la théorie ; la lutte nous donne la victoire.

Parfois les difficultés sont incroyablement dures et l'on peut essuyer des revers amers. Les formes de lutte changent même fréquemment. Mais il n'y a qu'un seul chemin : lutter, lutter et lutter (applaudissements).

On peut affirmer catégoriquement que la conquête du pouvoir révolutionnaire à Cuba a été l'œuvre exclusive de notre peuple. A l'époque, nous ne pouvions recevoir aucun genre d'aide extérieure et la réception d'armes – ces armes avec lesquelles nous avons fait la guerre – a été le privilège exclusif de l'armée batistienne à laquelle, combat après combat, nous les avons enlevées.

Il n'est pas possible d'oublier les journées qui ont précédé ce 1er janvier 1959. Tout le pays luttait durement. Tandis que, dans les villes, les combattants clandestins défiaient la mort avec une vaillance incomparable et versaient leur sang jusqu'à la dernière minute, l'Armée rebelle, avec trois mille combattants aguerris et infatigables – c'était à peu près le chiffre d'hommes armés atteint en décembre 1958 – poursuivait sans trêve et infligeait défaite sur défaite à un adversaire dont les forces totales se montaient à quatre-vingt mille hommes. Tout le peuple marchait aux côtés de l'armée révolutionnaire.

Historique et inoubliable est ce jour que nous commémorons aujourd'hui, où la totalité de nos travailleurs, passant par-dessus la clique de dirigeants officiels et suivant des instructions de l'Armée rebelle, participaient décisivement à la bataille en déclenchant une grève générale qui paralysait le pays d'un bout à l'autre, aidait à déjouer les menées putschistes de l'impérialisme et facilitait le contrôle et le désarmement du reste des unités ennemies en moins de soixante-douze heures. Tout le peuple prenait part à la bataille finale. Événement révolutionnaire merveilleux et exemplaire qui a changé à jamais l'histoire de notre patrie.

A peu près à cette même heure, voilà vingt ans, la marche entreprise le 26 juillet 1953 à la Moncada touchait à son but à Santiago de Cuba même (applaudissements). Aux pieds du peuple, gisait en morceaux la tyrannie instaurée le 10 mars 1952.

Nous avons, dans le Rapport au premier Congrès du parti, rappelé le processus révolutionnaire jusqu'en 1975 et, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Moncada, fêté voilà quelques mois à peine, nous avons abordé d'importantes questions de politique internationale. Il n'est pas nécessaire de répéter aujourd'hui les mêmes thèmes et les mêmes idées.

Pourtant, quels sentiments forts et quelles réflexions profondes peut éveiller en nous la commémoration de ce vingtième anniversaire de la victoire révolutionnaire ? En premier lieu, un sentiment de sain orgueil. Nous avons surmonté ensemble des obstacles incroyables ; nous avons remporté ensemble des victoires extraordinaires dans tous les domaines. Ensemble, nous avons forgé notre parti marxiste-léninis­te (applaudissements) et son Union des jeunes communistes, combative et héroïque, avant-gardes choisies de militants dont les rangs se nourrissent des meilleurs enfants de notre peuple; ensemble, nous avons mis en place nos puissantes organisations de masse, fleuves de peuple devenu force, organisation et conscience ; ensemble, nous avons créé notre État socialiste, ses pouvoirs populaires, ses splendides institutions, et nous travaillons avec acharnement à construire sa base économique ; ensemble, nous avons organisé et soutenu ce bastion efficace et irréductible dans la lutte contre l'ennemi qu'est notre ministère de l'Intérieur (applaudissements) ; ensemble, nous avons continué à développer et à nourrir de nos bras et de notre sang la glorieuse Armée rebelle (applaudissements) qui a forgé la victoire du 1er janvier et dont les colonnes invaincues d'hier ont donné naissance à nos forces armées révolutionnaires d'au­jourd'hui, fougueuses et invaincues (applaudissements), bouclier infranchissable du peuple, exemple spartiate d'esprit internationaliste, orgueil légitime de la révolution, auxquelles nous rendons aujourd'hui, en ce jour de leur plus grande gloire combattante, le juste hommage qu'elles méritent (applaudissements) ; ensemble, nous avons remporté d'énormes succès matériels, moraux et sociaux ; ensemble, nous avons élevé notre patrie à un rang prestigieux et marquant dans le monde; ensemble, nous avons labouré dans les sillons de l'histoire.

Nous n'avons pas seulement défendu l'intégrité de la patrie ; nous avons défendu avec une fermeté inébranlable l'intégrité de nos idées (applaudissements).

Jusqu'au 1er janvier, l'adversaire indirect était l'impérialisme. Batista était l'adversaire direct. Après janvier, l'adversaire a été directement l'impérialisme. Avant janvier, nous luttions pour être les maîtres de notre destinée ; après janvier, pour défendre ce droit et pour réaliser la révolution socialiste.

Avant janvier, nous ne livrions qu'une bataille patriotique ; après janvier, une bataille qui est en outre internationaliste (applaudissements).

Avant janvier, nous faisions partie d'une révolution nationale ; après janvier, nous faisons partie de la révolution mondiale (applaudissements). Avant janvier, une avant-garde a été le protagoniste des événements ; à partir de janvier, le protagoniste a été le peuple (applaudissements).

Les pages de cette étape n'ont pas requis moins d'héroïsme qu'à l'étape antérieure, mais plus d'héroïsme, car si, avant, les formes d'héroïsme étaient fondamentalement individuelles, ensuite l'héroïsme est devenu massif. Avant, ce n'était que l'héroïsme du combat, plus tard l'héroïsme du combat et du travail.

Développer un pays et construire le socialisme est bien plus difficile que gagner une guerre révolutionnaire. Cette dernière tâche peut prendre des années, l'autre prend de longues décennies. Mais les victoires de la paix et du travail sont bien plus belles que les victoires de la guerre, obtenues toujours au prix du sang. Mêmes justes, les gloires de la guerre peuvent être oubliées et n'ont d'autre sens pour le révolutionnaire que celui d'un amer instrument de liberté. Les gloires du travail sont éternelles. Si l'humanité avait été juste, elle aurait érigé plus de monuments au travail qu'aux faits d'armes. Mais le travail possède son propre monument impérissable, qui est le progrès et la création humaine, et ses héros anonymes, les masses passionnées du peuple ; bien que combattre, vaincre et mourir pour une cause juste soit parfois aussi la forme que doit prendre le magnifique travail des révolutionnaires, grâce auquel s'écrivent des pages de désintéressement et de noblesse insurpassable et se construit également le monument, impérissable du progrès (applaudissements).

Qui pourrait nier l'immense allégresse que nous éprouvons tous devant chaque nouvelle école, chaque nouvelle crèche, chaque nouvelle polyclinique, chaque nouvel hôpital, chaque nouvelle ferme, chaque nouvelle usine, chaque nouveau barrage, chaque nouveau système d'irrigation, chaque nouvelle route, chaque nouveau port, chaque nouvel immeuble, chaque nouveau stade, chaque nouvelle salle de cinéma, chaque nouveau théâtre, chaque nouvelle bibliothèque que l'on construit dans le pays ? Qui pourrait nier l'orgueil que nous éprouvons devant le chiffre de nos élèves du primaire, du secondaire, de l'enseignement technique, de nos étudiants ? Devant nos indices d'éducation et de culture, les plus élevés du continent ? Devant nos indices de mortalité infantile, les plus bas absolument ? Devant nos indices de services de santé, les plus efficaces ? Devant nos victoires sportives ? Devant notre société sans discrimination, sans chômage, sans mendiants, sans jeux, sans prostitution, sans drogues ? Devant nos travailleurs atteignant le niveau du certificat d'études ? Devant nos plans ultérieurs d'élévation continue de leur niveau culturel ? Devant notre développement artistique et notre mouvement amateur ? Qui pourrait nier la joie que nous éprouvons devant chaque victoire sur le terrain économique, devant le rythme de développement rapide de notre économie, devant les conditions créées peu à peu pour un avenir plus sûr, même si cette génération doit travailler dur et vivre dans une austérité relative ?

Maîtres absolus et exclusifs de nos richesses économiques et de nos ressources naturelles, nous pouvons aujourd'hui organiser, planifier et diriger notre développement économique et social en toute liberté, ce qu'aucun État de ce continent ne peut affirmer.

Mais comme nous avons dû lutter et nous acharner pour obtenir et défendre ce droit à travailler, à créer et à jouir des bénéfices de la liberté, du socialisme, de l'égalité, du progrès et de la justice sociale dans notre pays!

Pourquoi la colère de l'impérialisme s'est-elle soulevée contre nous ? II était évident que l'impérialisme yankee se considérait le maître absolu de ce continent et qu'aucun peuple de l'Amérique latine et des Caraïbes n'avait le droit de choisir d'autre système économique, politique et social qui ne fût son impitoyable capitalisme sous-développé et néo-colo­nisé qui nous était proposé à nous, les Latino-Améri­cains, sa pseudo-démocratie pourrie et hypocrite, ou l'oligarchie féodale, la tyrannie à la Somoza, à la Du­valier, à la Stroessner, ou la recette du fascisme administré au Chili, à l'Uruguay, et à d'autres malheureux peuples de ce continent.

Fruit de leur hostilité brutale et de leur politique agressive contre la révolution cubaine, notre pays ne peut acquérir aux États-Unis, depuis presque vingt ans, le moindre médicament pour soulager la douleur humaine ou sauver une vie, ni exporter vers ce marché le moindre gramme de son sucre. L'histoire rappellera, à la honte éternelle de ceux qui l'ont implantée et la maintiennent, cette tentative criminelle d'asphyxie et de génocide économiques contre notre peuple.

L'impérialisme aurait-il par hasard atteint ses objectifs ? Ni le blocus économique, qui comprenait des représailles économiques contre des pays tiers qui eussent fait du commerce avec Cuba ou envoyé leurs bateaux dans nos ports, ni l'introduction de milliers d'armes et d'engins explosifs, ni la subversion, ni les bandes contre-révolutionnaires, ni les attaques pirates ni les invasions mercenaires, ni les menaces d'agression directe ni les plans d'élimination physique des dirigeants révolutionnaires n'ont empêché que Cuba soit aujourd'hui le pays au développement social le plus avancé et le plus spectaculaire de ce continent (applaudissements). Bien des peuples du monde et des institutions internationales reconnaissent avec admiration et respect les succès de notre Révolution.

Quels ont été, en revanche, au bout de vingt ans, les progrès sociaux du continent ? L'analphabétisme, le chômage, la mortalité infantile, les logements insalubres, les bidonvilles, la prostitution, les drogues, les mendiants, les enfants abandonnés, la délinquance et le crime, la mainmise économique, le pillage des ressources naturelles, voire de bon nombre des intelligences les plus brillantes, ont augmenté absolument dans le reste de l'Amérique latine.

Soixante-dix mille patriotes assassinés ou faits disparaître par des gouvernements réactionnaires et répressifs, voilà ce qu'a laissé derrière elle l'intervention des États-Unis au Guatemala, pour renverser le gouvernement progressiste d'Arbenz il y a vingt-cinq ans.

Des dizaines de milliers de morts directs à cause de la répression au Nicaragua, en El Salvador, en Haïti, au Chili, en Uruguay, au Paraguay, au Brésil et dans d'autres nations, voilà le fruit macabre des régimes engendrés et parrainés par les États-Unis. Des dizaines de millions de morts par dénutrition, maladies curables, misère, insalubrité et abandon social, voilà le bilan de la domination impérialiste sur ce continent au cours des vingt années qu'a déjà duré la Révolution cubaine.

Combien de temps un tel crime pourra-t-il encore se commettre ? Combien de temps le toléreront les peuples ?

N'est-ce pas réellement merveilleux de pouvoir nous écrier aujourd'hui que, voilà deux décennies, nous nous sommes libérés de l'enfer de cette domination ?

Qui pourra donc effacer désormais de l'histoire et de la carte de ce continent l'exemple et la leçon de Cuba ?

Ne serait-il pas proche le jour où d'autres peuples, secoueront à leur tour le joug ?

Ne serions-nous donc pas capables de résister vingt ans encore et autant de fois vingt ans qu'il sera nécessaire sans courber le front ? (Applaudissements prolongés.)

Et, bien sûr, ni sur ce continent, ni en Afrique ni dans aucun endroit du monde nous ne pensons courber le front ! (Applaudissements.)

Les États-Unis persistent à maintenir leur blocus criminel comme instrument de pression et d'exigence vis-à-vis de Cuba. Mais Cuba ne peut être soumise par des pressions, ni intimidée, ni subornée, ni achetée. Cuba n'est ni la Chine ni l'Égypte ! (Applaudissements prolongés et cris de « Fidel, les Yan­kees, ne les ménage pas ! »)

Nous vivons dans un monde de fréquent opportunisme, voire de grandes trahisons. Mais nous vivons aussi dans un monde qui, en dépit des valses-hésita­tions et des trahisons, voit surgir tous les jours de nouvelles forteresses révolutionnaires. Le Viet Nam, le Laos, l'Angola, le Mozambique, l'Éthiopie et l'Afghanistan en sont des exemples (applaudisse­ments). Le régime sanguinaire de Somoza pourra-t-il se maintenir sur des montagnes de morts ? Pinochet pourra-t-il se soutenir longtemps, face à la résistance croissante du peuple chilien, sur de macabres découvertes de cadavres, les mains ligotées dans le dos avec du barbelé et une balle dans la nuque, qui ne lui permettent plus d'occulter et de dissimuler ses mystérieuses disparitions et ses crimes épouvantables ?

Le shah d'Iran pourra-t-il se soutenir face à la lutte résolue, massive et héroïque de tout le peuple ? (Applaudissements et cris de « non ! »)

En dépit de la politique actuelle de la Chine et de sa grande trahison, le monde, qui a changé profondément depuis des dizaines d'années, continuera à changer. Pour chaque revers, pour chaque recul, pour chaque désertion, les victoires révolutionnaires se multiplient et toutes sous un même signe : le progrès et le socialisme (applaudissements). L'impérialisme ne peut ni ne pourra plus jamais arrêter le cours inexorable de l'étape historique amorcée par la glorieuse révolution d'Octobre (applaudissements).

Cuba ne s'oppose pas aux relations commerciales, voire diplomatiques, normales avec les États-Unis. Nous croyons sincèrement que la nécessité de paix et de coexistence entre régimes sociaux différents, proposée par Lénine dès les premiers jours de la révolution, est plus vitale que jamais pour la survie humaine. C'est un principe essentiel du socialisme, sans que cela implique le droit des impérialistes à réprimer le mouvement révolutionnaire dans aucun pays du monde.

Les États-Unis doivent lever inconditionnellement le blocus économique qu'ils ont imposé à Cuba, parce qu'il constitue une pratique barbare, arbitraire, discriminatoire, hostile et agressive.

Les États-Unis doivent renoncer à leur grossière stratégie consistant à utiliser le blocus comme un instrument de négociations avec Cuba, parce que nous ne l'accepterons jamais.

Le fait même que les États-Unis commercent avec l'immense majorité des pays socialistes et prétendent en revanche maintenir cette mesure contre notre pays constitue une profonde immoralité politique, une preuve formelle de l'hypocrisie infinie contenue dans leur rhétorique creuse sur les droits de l'homme (applaudissements), un exemple patent de leur mépris envers le droit à l'autodétermination des peuples sur ce continent.

Qui leur a dit, aux États-Unis, que nous, peuples d'Amérique latine, nous ne pouvons opter pour le socialisme ? (Applaudissements.) Qui leur a décerné ce rôle de gendarme et de tuteur de nos destinées ? Pourquoi devrions-nous prendre pour modèle une société capitaliste qui exploite la sueur d'autrui, qui discrimine les Noirs, qui extermine les Indiens, qui méprise les Chicanos, les Portoricains et les autres Latino-Américains, qui prostitue les femmes et exploite sexuellement les enfants, une société de violence, de vice, d'aliénation et de crime ? Qui peut nous obliger à vivre éternellement dans un système égoïste, impitoyable, condamné par l'histoire ?

Il n'y a pas de races ou de peuples supérieurs. Aucune domination n'a été éternelle. Aucun empire n'a résisté à sa propre décadence. Rome, en son temps, fut plus puissante, moins rancunière, moins vaniteuse et plus sensée.

Cuba est consciente qu'elle remplit un devoir sacré envers les peuples frères de ce sous-continent. Notre victoire a été réellement une victoire pour tous les peuples latino-américains et l'histoire se chargera de l'enregistrer.

Pour la première fois, un peuple latin a fait face avec succès à l'orgueil, à l'arrogance et à la prépotence yankee (applaudissements). Pour la première fois, l'empire a été contenu en quelque point, à quelque endroit de notre Amérique. Pour la première fois, l'expansion, l'intrigue politique, la subversion, les mesures économiques et les actions militaires ont été stoppées net. Pour la première fois, un gouvernement a existé contre la volonté souveraine des États-Unis dans, cette partie du monde. Le mépris s'est transmué en haine, la haine en agression, l'agression en défaite et la défaite en respect (applau­dissements). Dès lors, nos peuples latino-américains et caribéens ne sont déjà plus si inférieurs à leurs yeux, parce qu'ils voient potentiellement en chacun d'eux une autre Cuba.

De la sorte, la liberté et le respect gagnés par Cuba, même s'ils n'ont pas encore impliqué d'autres changements sociaux, ont d'ores et déjà signifié davantage de liberté et davantage de respect pour tous les peuples d'Amérique.

Les stratèges les plus pondérés de l'empire estiment toutefois qu'un gouvernement révolutionnaire peut être aussi domestiqué. L'exemple de la Chine les encourage, de la Chine, précisément, dont les pionniers étaient éduqués voilà encore quelques années en clouant des baïonnettes dans des marionnettes de son qui portaient le nom de Kennedy, de Johnson, de Nixon.

Les impérialistes calculent que le chauvinisme demeure une force puissante, que l'égoïsme national capable d'effacer le sentiment internationaliste peut exister même sous le socialisme, que leurs ressources financières et technologiques sont des armes irrésis­tibles pour des gouvernements progressistes en butte à des difficultés économiques.

Le chauvinisme, l'opportunisme, l'impérialisme s'unissent étroitement contre le marxisme-léninisme, le socialisme et l'internationalisme. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire du mouvement révolutionnaire. Aujourd'hui, par exemple, la clique dirigeante chinoise s'avère un partisan furibond du blocus économique contre Cuba et exige le maintien de la base navale yankee à Guantánamo. Le tigre de papier a fini par dévorer les idées petites-bourgeoises du Grand Timonier (applaudissements). Ce ne sont plus maintenant les États-Unis qui agressent directement le Viet Nam, c'est la Chine. Or, si le gouvernement chinois a vendu la révolution en échange de Taïwan, de la technologie et des crédits de l'Occident, Cuba n'échangera jamais un seul de ses principes pour la base de Guantánamo ou pour tout l'or des pays impérialistes réunis (applaudissements).

Je ne sais si l'impérialisme yankee sera ou non un tigre de papier, mais nos idées ne sont pas de papier ! (Applaudissements.)

La Chine, dont j'admire le peuple pour son austérité, son esprit révolutionnaire, sa capacité de travail et de sacrifice, est un grand pays. Quand elle avait déjà sept cent millions d'habitants, nous n'étions que sept millions. Mais elle était séparée du tigre par l'immense océan Pacifique ; nous, par le minuscule détroit de la Floride. Nous aurions pu disparaître en une nuit lors de la crise d'Octobre. Nous ne possédons pas d'armes nucléaires, nous ne disposons pas de millions de kilomètres carrés ni de dizaines de millions de soldats. Pourtant, nous avons résisté, nous n'avons pas plié, nous ne nous sommes pas rendus, nous ne nous sommes pas vendus (applaudissements).

Voilà vingt ans que nous occupons une tranchée sur la ligne de front, la plus proche de la métropole impérialiste la plus agressive et la plus puissante. Nous n'avons pas fait que défendre avec honneur et dignité cette tranchée. Des enfants de notre peuple ont lutté et versé leur sang dans des endroits aussi distants que l'Angola et l'Éthiopie pour aider d'autres peuples à défaire l'impérialisme, le néo-colonialisme, le racisme et le fascisme (applaudissements).

L'impérialisme n'a pas seulement essuyé un Playa Girón à Cuba, il a essuyé un Playa Girón en Angola et un autre en Éthiopie. Trois Playa Girón en vingt ans ! (Applaudissements.)

Le tigre pourra bien être ou non de papier, mais notre honneur, notre dignité, nos principes ne sont pas de papier ! (Applaudissements.)

L'Occident tente de répéter avec la Chine la sinis­tre aventure de l'Allemagne hitlérienne contre l'Union soviétique. Se rend-il donc compte du genre de feu avec lequel il joue cette fois ? Nous sommes sûrs que les peuples, dont le peuple chinois, ne permettront jamais une telle folie.

Nous poursuivrons de l'avant non comme une révolution qui fête ses vingt ans, mais comme une révolution qui commence aujourd'hui de nouveau (applau­dissements). Si quelque chose l'a toujours caractérisée, c'est bien sa fermeté inébranlable, sa loyauté aux principes, son esprit profondément humain. Notre Révolution n'a jamais dévoré un seul de ses enfants, parce qu'il n'y a jamais eu en elle de culte de la personnalité, ni de dieux assoiffés de sang. L'union la plus étroite, le respect et la camaraderie ont toujours régné entre tous les révolutionnaires. Les normes léninistes d'organisation et de direction sont aujourd'hui notre trésor le plus précieux. Nous ferons face à l'avenir avec l'expérience de vingt ans et l'enthousiasme du premier jour (applaudissements). La loyauté au mouvement révolutionnaire international est et sera toujours la pierre angulaire de notre politique étrangère.

C'est beau de parler de nos succès et de nos victoires. La dignité avec laquelle nous fêtons ce jour nous remplit d'orgueil, mais nous serions le plus ingrat des peuples et les victimes de la pire forme de vanité humaine, de ce chauvinisme odieux et méprisable que nous critiquons tant, si nous croyions que nous eussions été capables par nos seules forces de réaliser cette prouesse révolutionnaire et si nous oubliions tout ce que nous devons à la solidarité internationale après la victoire de la révolution du 1er janvier, pendant ces vingt ans d'affrontement direct à l'impérialisme yankee.

A la grande patrie de Lénine (applaudissements), à sa révolution, à son peuple généreux et héroïque, à sa politique internationaliste jamais démentie en soixante et un ans d'histoire glorieuse, nous devons adresser on premier lieu nos remerciements les plus profonds en un jour semblable (applaudissements). Vingt ans de solidarité et d'amitié cimentent nos relations avec l'URSS.

Une politique de principes vaut plus que des millions de paroles creuses. Ce sont les faits réels qui comptent dans l'Histoire. Nous avons toujours dit que nous n'aurions replié nos drapeaux en aucune circonstance. Alors que nous étions au Mexique, nous avions affirmé qu'en 1956, nous serions libres ou que nous serions des martyrs. Nous avons tenu parole ! (Applaudissements.) Nous avons lancé plus tard notre slogan de « La patrie ou la mort », et nous avons également tenu parole (applaudissements). Nous avons une patrie, de la même manière que nous aurions accepté de mourir plutôt que de nous résigner à vivre sans elle (applaudissements). Mais si nous sommes sortis victorieux, si notre peuple possède aujourd’hui révolution, patrie et vie, bien qu'il ait dû affronter, vingt ans durant, un ennemi aussi cruel et aussi puissant, cela se doit non seulement à notre lutte héroïque et résolue, mais aussi, énormément, au peuple courageux qui nous a tendu sa main amie aux moments cruciaux de la Révolution (applaudissements).

D'autres pourront mordre la main dont ils ont reçu et pris une aide généreuse. Cuba, ses enfants d'au­jourd'hui et de demain reconnaîtront éternellement ce qu'a signifié pour notre peuple l'Union soviétique et l'en remercieront ! (Applaudissements.)

Il n'y a pas lieu de rougir pour être honnêtes, mais il faut savoir être des rouges honnêtes (applaudissements).

Les mêmes sentiments de gratitude élémentaire nous obligent envers les frères de la communauté socialiste, envers les communistes sincères du monde entier, envers la classe ouvrière, les forces progressistes d'Amérique latine, d'Asie, d'Afrique et d'Europe. Des dizaines de représentants d'États amis et d'organisations progressistes du monde entier nous accompagnent en cette commémoration. Nous leur disons à tous notre profonde reconnaissance ! (Applaudissements.)

Quant aux peuples héroïques du Viet Nam et du Laos, aux Palestiniens, aux peuples arabes agressés, aux patriotes namibiens, zimbabwéens, sud-africains et sahraouis, à nos frères latino-américains qui luttent actuellement dans de nombreux pays contre l'agression et le fascisme, à tous les combattants et militants pour la paix et le progrès de l'humanité, nous les saluons spécialement en ce vingtième anniversaire ! (Applaudissements.)

Nous serons inébranlablement fidèles à nos principes et à nos devoirs révolutionnaires, et ce sera l'héritage spirituel le plus précieux que nous léguerons aux futures générations de notre patrie.

Nous nous sentirions plus satisfaits, en fêtant ce vingtième anniversaire, si nous avions su mieux profiter de chaque année, de chaque mois, de chaque jour, de chaque minute; si absolument tous nos actes avaient été les plus judicieux, les plus intelligents. Les mesures et les initiatives de chacun d'entre nous n'ont pas toujours été les plus avisées. Mais ce n'est pas faute du désir ardent de faire le maximum et de faire de notre mieux pour notre peuple et pour notre Révolution que nous aimons si profondément (applaudissements). Le peuple, la Révolution et la vie de chacun de nous sont inséparables !

L'homme a prouvé qu'il était capable de se grandir et de réaliser des exploits extraordinaires. Avec son immense contenu d'humanité, d'égalité, de fraternité, de morale et de beauté, la révolution est le plus extraordinaire des exploits de l'homme. Elle nous fait nous élever jusqu'au point où nous nous dépassons. La vie est sans conteste un privilège fabuleux, mais l'existence en vaut vraiment la peine et prend tout son sens quand elle est consacrée à une cause aussi noble et aussi juste. Nous arrêtant un moment sur le chemin pour jeter un regard en arrière, nous devons prendre conscience de l'énorme honneur qu'a signifié pour notre génération le fait d'avoir vécu cette époque et d'avoir consacré nos énergies à cette merveilleuse tâche. Comme si nous commencions de nouveau, regardons de l'avant, maintenant que nous avons tant appris, pour être meilleurs et faire mieux.

L'avenir se prolonge plus que le passé. L'allégresse et l'optimisme d'aujourd'hui ne nous feront pas tomber dans l'erreur de sous-estimer la lutte qui nous attend. Nos difficultés pourront bien être encore énormes, mais nous saurons les surmonter. Le révolutionnaire est comme le marathonien dans l'olympiade de l'histoire où les générations se succèdent les unes aux autres. Comme des athlètes olympiques qui portent dans leurs mains un flambeau de lumière, faisons le maximum d'efforts sur le trajet qu'il nous reste pour le remettre, victorieux, dans l'honneur et dans l'espoir, à la relève meilleure que nous, qui se forme aujourd'hui dans les rangs de notre jeunesse communiste, héroïque et enthousiaste, chez nos étudiants intelligents et prometteurs, chez nos merveilleux pionniers, espérances radieuses de la patrie ! (Applaudissements.)

De la patrie révolutionnaire qui ne mourra jamais, parce que nous l'avons façonnée et défendue de nos vies, parce que nous avons su nous en tenir et que nous nous en tiendrons à notre slogan héroïque de :

La patrie ou la mort !

Nous vaincrons ! (Ovation.)

(VERSIONES TAQUIGRÁFICAS - CONSEJO DE ESTADO)