Poèmes

Le moqueur polyglotte chante sur le pic Turquino

—Passagers en transit, changement d’avion, destination : rêve !

 

—Oui, Monsieur ; sí, señor.

Né à Cuba, loin, près d’une palmeraie.

Transit, oui. Je pars.

Du sucre ? Sí, señor.

Du sucre au plein mitan de la mer.

—Dans la mer ? Une mer de sucre, donc ?

—Une mer.

—Du tabac ?

—Sí, señor.

De la fumée au plein mitan de la mer.

Et de la chaleur.

—Dansez-vous la rumba ?

—No, señor ;

je ne sais pas la danser.

—Anglais, vous ne parlez pas anglais ?

—Non, Monsieur ; no, señor,

je n’ai jamais pu le parler.

 

—Passagers en transit, changement d’avion, destination : rêve !

 

Des pleurs ensuite. Douleur.

Ensuite la vie et son passage.

Ensuite le sang et sa fulguration.

Et je suis ici.

Aujourd’hui c’est déjà demain.

 

Mr. Wood, Mr. Taft,

adieu.

Mr. Magoon, adieu.

Mr. Lynch, adieu.

Mr. Crowder, adieu.

Mr. Nixon, adieu.

Mr. Night, adieu.

Mr. Night, Mr. Shadow,

adieu !

Vous pouvez vous larguer, foule

animale, que je ne vous revoie plus.

Il est tôt ; aussi dois-je travailler.

Il est déjà tard ; aussi l’aube se lève-t-elle.

Le fleuve coule entre les roches…

—Bonjour, Fidel.

Bonjour, drapeau ; bonjour, bouclier.

Palmier, flèche enterrée, bonjour.

Bonjour, profil de médaille, violent barbu

de bronze, machette vengeresse à la main droite.

Bonjour, pierre dure, houle fixe de la Sierra Maestra.

Bonjour, mes mains, ma cuiller, ma soupe,

mon atelier et ma maison et mon rêve ;

bonjour, mon riz, mon maïs, mes souliers, mes vêtements ;

bonjour, mon champ et mon livre et mon soleil, et mon sang sans maître.

 

Bonjour, ma patrie endimanchée ;

bonjour, monsieur et madame ;

bonjour, campagnard dans ta campagne naissant à la vie ;

bonjour, jeune gars dans la rue chantant et brûlant dans l’aurore.

 

Ouvrier en armes, bonjour.

Bonjour, fusil.

Bonjour, tracteur.

Sucre, bonjour.

Poètes, bonjour.

Défilés, bonjour.

Mots d’ordre, bonjour.

Bonjour, hautes jeunes filles telles de chastes cannes.

Chansons, étendards, bonjour.

Bonjour, ô terre de mes veines,

Épi serré de poings, grelot

de victoire…

Le champ sent la pluie

fraîche. Une tête noire et une tête blonde

Vont ensemble sur le même chemin,

Couronnées d’un même laurier fraternel.

L’air est vert. Le moqueur polyglotte chante sur le pic Turquino…

—Bonjour, Fidel.

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