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Par crainte des États-Unis, les banques suisses refusent les transferts lorsqu’elles entendent le mot « Cuba »

Caravane contre le blocus à Villa Clara. Photo: Granma
Caravane contre le blocus à Villa Clara. Photo: Granma

Date: 

06/05/2021

Source: 

Periódico Granma

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À un moment donné de la conversation téléphonique, Franco Cavalli se montre indigné. Très indigné, en fait. L'ancien député et chef de groupe parlementaire du ps dans le canton du Tessin déclare : « C'est un véritable gâchis. Non, c'est plus que ça. C'est un vrai scandale ! »

À 78 ans, le cancérologue Cavalli est un homme occupé. Il est notamment président de Medicuba Europe, une ong suisse ayant des sections dans 14 pays européens qui fournit une aide médicale à l'île socialiste. Récemment, Medicuba a acheté des antibiotiques à une petite entreprise pharmaceutique de Suisse occidentale pour les expédier par bateau aux Caraïbes.

Medicuba veut régler ses achats par virement bancaire, la banque lui renvoie l'argent, en invoquant le blocus des États-Unis.

Visiblement, l'institution craint des représailles de l'autre côté de l'Atlantique. Il s’agit  d’un virement du compte suisse de Medicuba à un autre compte suisse. Aucun argent ne circule vers Cuba où les États-Unis. Pour rejeter l’ordre de transfert, il suffit apparemment que le mot « Cuba » apparaisse dans le nom de l'organisation. Même lorsque Cavalli propose d'effectuer le virement à partir de son compte personnel, la banque refuse.

Raffaele Malinverni, médecin à la retraite, est membre du Conseil d’administration de Medicuba Suisse. « Parfois, la succursale d'une banque renvoie un certain montant, tandis qu'une autre filiale de la même banque accepte l'argent sans aucune objection », dit-il. Selon lui, les réactions des banques sont imprévisibles, mais les deux grandes banques suisses Credit Suisse et ubs, la Banque cantonale de Bâle et sa filiale Cler, ainsi que, et occasionnellement d'autres banques cantonales refusent fréquemment.

Les banques refusent aussi souvent de transférer les cotisations des membres et les dons à l'organisation. Roland Wüest, qui travaille comme coordinateur chez Medicuba, écrit à notre demande: « Nous ne sommes en aucun cas informés de tous les refus qui se produisent. Selon une estimation approximative, je dirais que cela concerne dix paiements par mois. Cela représente 15 % de tous les transferts qui nous sont adressés ».

Dans le cas des antibiotiques, l'entreprise pharmaceutique romande a été contrainte d'ouvrir un compte auprès de Postfinance, simplement pour se faire payer le montant dû. Malinverni déclare : « D’une manière ou d’une autre, on trouve toujours une solution, mais à chaque fois, cela prend beaucoup de temps et d’énervement. »

Medicuba, une organisation humanitaire fondée en 1992, compte quatre employés, et environ un tiers de son budget de 800 000 francs suisses est pris en charge par la Direction du développement et de la coopération (Deza). À Cuba, l'organisation s’occupe d’enfants autistes, participe à la prévention du sida, pratique des chirurgies mini-invasives sur des patients atteints de cancer et aide des médecins cubains spécialisés dans les soins intensifs à poursuivre une formation complémentaire en Suisse.

Malinverni déclare : « Chaque fois que nous protestons auprès d'une banque au sujet des transferts refusés, elle nous répond que notre engagement humanitaire est formidable, mais que les choses sont telles qu’elles sont. » Si vous insistez, les réponses sont similaires. Le mot magique dans tous les cas est le « risque de réputation ».

« L’ubs surveille de près les activités commerciales dans le domaine des services de paiements et écarte les risques éventuels associés à un paiement avant qu'il ne soit approuvé », écrit le service de presse de la grande banque.

La Banque Cantonale de Bâle se justifie par le fait que les banques doivent prendre en compte dans leurs activités commerciales les risques découlant des services transfrontaliers, notamment les sanctions étrangères.

En janvier, Medicuba a adressé une plainte à la Finma, l'autorité des régulations des marchés financiers. Elle y énumère de nombreux cas de transferts refusés et exige que des « mesures appropriées » soient prises à l'encontre des banques concernées.

La Finma a répondu : « Les institutions financières doivent analyser, minimiser et contrôler de manière appropriée les risques juridiques et de réputation qui peuvent découler du droit étranger. Les types de mesures avec lesquelles les banques agissent dans ces cas relèvent de l’entière responsabilité des banques. »

Par ailleurs, Medicuba a chargé le cabinet d'avocats Robert L. Muse, basé à Washington, de préparer un avis juridique, dont une copie est à la disposition de ce journal. Il conclut que les transferts bancaires vers l'organisation ne violent jamais le blocus étasunien, et ce pour plusieurs raisons : Medicuba est une organisation humanitaire, son siège se trouve hors des États-Unis, les transferts de fonds ne sont pas effectués en dollars et ne vont ni aux États-Unis ni à Cuba. Aucun citoyen étasunien ne siège non plus au Conseil d'administration de l'organisation.

Le juriste bernois Willi Egloff, qui représente légalement Medicuba, considère que la pratique des banques suisses est illégale, du moins dans le cas des banques cantonales. « Ce sont des institutions de droit public. En refusant un service à un citoyen suisse, ils violent l’interdiction d'agir de manière arbitraire », déclare Egloff. Mais ils ne porteront pas plainte. Medicuba a des choses plus nobles pour lesquelles dépenser son argent que des poursuites judiciaires, dit-il.

Selon Franco Cavalli, les banques suisses ont à ce point peur des États-Unis parce que, par le passé, elles ont aidé sans hésiter les fraudeurs fiscaux étasuniens dans des affaires sales, une sorte de surcompensation par mauvaise conscience, au détriment du devoir humanitaire.

Un événement remarquable s'est produit récemment au sein de la Commission de politique étrangère du Conseil fédéral. La majorité a approuvé une motion demandant au Conseil fédéral d’œuvrer en faveur d'un assouplissement du blocus exercé par les États-Unis et de la fluidité du service de paiement entre la Suisse et Cuba. Début mars, le Conseil fédéral a approuvé la demande grâce à l'approbation de la gauche et, étonnamment, du Parti libéral.

Le facteur décisif en a été le conseiller fédéral zurichois Hans-Peter Portmann, président du groupe parlementaire Suisse-Cuba et grand amoureux de l'Île. Malgré toutes les critiques et les divergences politiques avec le système cubain, Portmann est convaincu qu'aujourd'hui encore, une majorité de la population cubaine voterait pour le Parti communiste.

Franco Cavalli doute que le Conseil fédéral ou les banques ne se laissent impressionner par la décision parlementaire. Après tout, une motion n'est guère plus qu'un vœu pieux. •

Note de Granma : Le 9 mars, le Conseil national (Chambre basse) du Parlement suisse a confirmé le rôle actif de la Suisse en faveur de la levée du blocus économique, commercial et financier exercé contre Cuba en adoptant, par 98 voix contre 89, un postulat présenté par la Commission de politique étrangère en ce sens.

*Article publié dans le quotidien suisse Berner Zeitung.