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Fidel, l’aube à jamais

Fidel était un au début, mais ensuite tous ses compagnons survécurent en lui. Photo : Ismael Francisco
Fidel était un au début, mais ensuite tous ses compagnons survécurent en lui. Photo : Ismael Francisco

Date: 

11/08/2021

Source: 

Periódico Granma

Auteur: 

Fidel est pour nous le disciple le plus loyal, le plus grand et le plus lucide du maître José Marti. Il vient de la montagne et du ruisseau, de toutes parts et il va vers toutes parts ; dès sa naissance, il a jeté son sort avec les pauvres de la Terre et la justice, l'anti-impérialisme, l'anti-capitalisme ont déterminé sa marche.
 
José Marti est le cœur de sa vie extraordinaire. Comme l'Apôtre, il est sans faille, rebelle, aux côtés des oubliés, et riche d'une lumière naturelle, pleine d’érudition, qui a été façonnée par l'effort et la volonté inlassables, avec la même ferveur que celle avec laquelle le soleil illumine notre univers.
 
Fidel vit dans cette dimension particulière des hommes dignes et courageux,  un Quichotte de notre temps. Une dimension dans laquelle rien n’est impossible et où chaque détail est respecté et conçu comme une poésie, une révolution, une philosophie, avec naturalité.
 
Dans l'insaisissable, il reconnaît les choses importantes : dans les héros, les symboles, l'histoire, la mémoire, la justice, le savoir, les idéaux, mais aussi dans la banalité quotidienne, «  sur la nappe de la table et dans le café d'hier » – comme le chante Silvio –, dans le décorum du refuge humble mais digne et éclairé auquel il aspire pour tous les habitants de la Terre. Porté par cette aspiration, il s'est uni à ceux qui rêvaient de partager les pains et les poissons, aux libérateurs de toutes les régions lointaines, de Notre Amérique et de l'archipel auquel nous appartenons, aux figures illustres de la pensée et des luttes sociales comme le maure Marx, le « général Engels » et Lénine.
 
Pour nous, Fidel est le fondateur d'un vieux rêve, d'un rêve qui a duré cent ans. Un centenaire qui n'a pas été vécu dans la solitude, mais habité par une multitude, par tout un peuple sur cette grande Île entourée de plus de 4 000 îles, de cayos et d’îlots dans le bleu intense de la mer des Caraïbes, à la confluence des vents, des courants et des traversées, de la profondeur physique et culturelle du monde, et pour cette raison même, un carrefour vital, une clé pour un avenir plus noble et plus humain pour tous.
 
Fidel a toujours été convaincu que l'aspiration à un pays juste et souverain était réalisable, et c'est avec cette foi ardente qu’il s’est entouré des meilleurs hommes et des meilleures femmes de notre peuple, peut-être à cause de tant de déceptions accumulées, incrédule jusqu'alors, jusqu'à cette aube de feu sur la ville endormie de Santiago.
 
De ce 26 [juillet] de poudre et de rêves, Fidel évoquait toujours chaque instant avec précision, y compris le moment où il parla à Guido Fleitas, au milieu de la fusillade intense qui faisait rage depuis environ une heure. C’est alors qu’il prit la décision du retrait, tandis que, sur la terrasse d'un bâtiment de la caserne, un homme armé d'une mitrailleuse de calibre 50 balayait toute la rue sans interruption, jusqu'à ce qu'il commença à le neutraliser. Il se souvenait également de l'ordre de retrait et de sa présence jusqu'à la fin du combat, lorsqu'il monta dans la dernière voiture pour en descendre quelques instants plus tard et laisser sa place à Abelardo Crespo, qui était blessé.
 
Il resta seul, cet homme au physique imposant, face à la caserne, avec pour seul compagnie son fusil sous le sifflement inquiétant et aigu des projectiles. Actif et en même temps envahi par des sentiments d’inquiétude, d’angoisse à l'idée de l’échec, de la défaite tactique. Il resta seul, seul. Il n'y avait personne dans la rue par laquelle il entreprit de se retirer, sans cesser de tirer au-dessus de sa tête, jusqu'à ce qu'une autre voiture, qui était déjà partie, fasse demi-tour et vienne le récupérer. Plus tard, il apprit qu’il s’agissait d’un jeune homme d'Artemisa, Ricardo Santana, qui, se rendant compte qu'il était resté en arrière, avait décidé de revenir pour le sortir de cet enfer.
 
Puis vint le regroupement à Siboney, l'heure difficile de surmonter l'adversité et de se mettre en route vers la montagne, de contourner la ville, d'atteindre les hauteurs et de réorganiser la lutte dans la Sierra Maestra. Il se mit en marche avec ses compagnons qui avaient les meilleures dispositions physiques et morales pour la guerre.
 
Ils étaient neuf hommes prêts à traverser la baie par l'ouest, depuis la péninsule de Renté, et à pénétrer dans les montagnes à l'est de la chaîne. Fidel était inspiré par la Révolution mexicaine, par la petite armée du général des hommes libres Augusto César Sandino et par les temps des mambises de Maximo Gomez et Antonio Maceo.
 
En tant que chef de file de l'action, il entendait au fond de lui le son métallique, aigu et désolé des cloches du début du roman d'Ernest Hemingway sur la résistance républicaine pendant la Guerre civile espagnole. La lecture de ces pages lui avait beaucoup appris sur la psychologie des hommes dans une guérilla, au cœur de l'arrière-garde montagneuse. Il s’était fait également une idée de la guerre irrégulière, de ses complexités et de ses efficacités, de sa dynamique dans les combats prévisibles, de ses retranchements en terrain accidenté inattendu, aux vastes possibilités de tendre des embuscades et à détruire des accès, et de se déplacer avec une constance aussi têtue qu'agile. Cependant, Fidel n'avait pas encore suffisamment d'expérience pratique.
 
Le 1er août, le lieutenant Pedro Sarria, ce jeune homme qui, pendant les examens universitaires, logeait dans le bâtiment du Corps des ingénieurs – en face de la maison où vivait Fidel dans le quartier du Vedado – surprit Pepe Suarez, Oscar Alcalde et Fidel en train de dormir dans une cabane sur les contreforts d’un massif. En effet, le groupe initial avait diminué à cause de la difficulté de la marche,  le manque de sommeil réparateur à cause des angoisses et des craintes, le besoin d’aliments et d’eau, ce qui avait conduit cinq des compagnons à accepter la proposition de Fidel de demander la médiation de l'Église, sous les auspices de Monseigneur Enrique Pérez Serantes, qui effectuait des démarches pour protéger de la mort les survivants. Le lieutenant reconnut Fidel et lui sauva la vie lorsque certains membres de sa patrouille s’apprêtaient à tuer les détenus. Sarria répétait comme s'il se murmurait à lui-même : « Ne tirez pas, ne tirez pas, ne faites pas cela, on ne tue pas les idées, on ne tue pas les idées ! »
 
Ce fut un moment très difficile. La patrouille fit irruption dans la fragile cabane où ils s'étaient réfugiés pour dormir. Envahis par un sommeil dense et irrépressible, Fidel et ses compagnons avaient commis l'erreur de s'abriter du jour et du froid dans ce lieu, où il fut facile de les localiser. Les soldats entrèrent en hurlant, déterminés à les assassiner, les veines de leur cou palpitant de rage et de haine.
 
Quant au lieutenant, il retenait ses subordonnés, et les exhortait à se calmer... et c’est alors que la discussion commença. Les soldats s’exclamèrent qu'ils étaient les héritiers de l'armée de Libération, et Fidel répondit : « C’est nous qui sommes les continuateurs de l'armée de Libération. Vous êtes des tyrans et des meurtriers. » Puis, après avoir fouillé l'endroit et découvert cinq armes appartenant aux attaquants de la Moncada, les soldats s’excitèrent encore plus. Ce fut un moment critique, mais finalement, l'autorité du lieutenant Sarria s’imposa et il leur dit : « Tranquilles, calmez-vous, ne tirez pas, on ne tue pas les idées ! » Fidel l’observait ; il était d'humeur égale, sans trop élever la voix, mais ferme dans sa volonté d'apaiser les soldats pour qu'ils ne tirent pas, ce qu’ils avaient coutume de faire lorsqu'ils faisaient des prisonniers.
 
Au moment de les transférer, de prendre la route, on entendit des coups de feu au loin. Immédiatement, Fidel pensa à un stratagème pour provoquer la fusillade et en finir avec eux. Sa mémoire enregistra l’instant où les soldats, exaspérés, pointèrent leur fusil sur eux, prêts à tout. Ils sortirent, traversèrent des buissons, alors que la fusillade se poursuivait. Le lieutenant leur ordonna de se jeter au sol, mais Fidel, toujours convaincu que tout cela n'était qu'un prétexte pour les assassiner, refusa et s’exclama : « Je ne me jette pas au sol, je ne me jette pas au sol, et si vous voulez me tuer, tuez-moi ». Attendant ce qui allait se passer, il se tenait debout, impassible.
 
Le lieutenant s'approcha alors de lui et lui murmura : « Vous êtes très courageux, les gars ! », un geste auquel Fidel répondit : « Écoutez, je veux vous dire une chose : je suis Fidel Castro », ce à quoi le lieutenant répondit : « Ne le dites à personne », puis en chemin, lorsqu'ils rencontrèrent le commandant Chaumont, chef des soldats qui avaient massacré les jeunes gens pendant toutes ces journées à la caserne Moncada, il refusa catégoriquement de lui remettre les prisonniers et parvint à les transférer au Vivac, une prison civile située au centre de la ville, ce qui sauva la vie de Fidel.
 
Pour lui, les chemins choisis sont invariablement ceux du devoir, et il en fut ainsi lorsqu'il défia les dangers du procès et éleva la voix pour dénoncer le crime commis contre ses compagnons d'armes, et lorsqu'il endura sans repos le froid de la prison et de l'exil jusqu'au débarquement dans la mangrove, la boue et les bombardements, jusqu'aux batailles sur la terre ferme de la Sierra Maestra.
 
Et lorsque la victoire fut une vérité absolue et que le désarroi passager de la fin de la guerre fut passé, il entreprit le chemin difficile avec encore plus de force, pour tout changer, pour une vie meilleure et plus épanouie. Au début, Fidel était un, mais ensuite tous ses compagnons survécurent en lui : Abel, Renato, Boris Luis, Tassende, et tant et tant d'autres jeunes gens propres et bons qui donnèrent leur vie pour une Patrie indépendante, souveraine et socialiste comme celle d'aujourd'hui, et qu'il honora à jamais en sacrifiant chaque moment de sa vie. Fidel se souvenait de manière récurrente des vers que José Marti avait dédiés aux huit étudiants en médecine abattus par l'ignominie de la politique espagnole à Cuba :
 
Cadavres bien-aimés, vous qui un jour/ avez rêvé de ma patrie,/ Jetez, jetez sur mon front/ la poussière de vos os décomposés ! / Touchez mon cœur de vos mains !/ Gémissez à mes oreilles !/ Chacun doit être de mes gémissements/ Larmes d'un tyran de plus !/ Marchez près de moi ; errez en attendant/ Que mon être reçoive votre esprit,/ Et donnez-moi des tombeaux la frayeur,/ car le sanglot est bien peu pour pleurer / Quand on vit dans l'infâme esclavage !
 
Eux, ses frères tombés à la Moncada et tout au long du chemin ardu, l'ont peuplé pour devenir une foule à laquelle se sont ajoutés plus tard les martyrs et ceux qui chaque jour encouragent le rêve. C'est pourquoi Fidel est une forêt, un maquis.  Fidel, est peuple, c’est la terre du mambi.
 
Dès qu’un rêve est réalisé, il en rêve immédiatement un nouveau. Fidel est racine, tronc et feuillage de la nation cubaine et de l'humanité, et comme les vieux horreos, greniers de la Galice d'où venait son père, il est réserve pour le dur hiver, pour la guerre ou pour l'oubli, il est source pour l'aube de ce 26 éternel, surtout aujourd'hui, à l'occasion d'un nouvel anniversaire de cette aurore que fut l’attaque de la Moncada : pour l'avenir.